EÑVORENN BANALEG |
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Suivant les époques et la personnalité de celui qui la narre, cette affaire criminelle est nommée de différentes façons :
- L’Affaire de Castel Coudiec
- La meunière de Saint Cado
- L’horreur judiciaire
- Les forçats innocents
Que reste-t-il de cette histoire 170 ans plus tard ? Rien ou presque, si ce n’est quelques inexactitudes et croyances locales. Les lignes qui suivent n’ont aucune prétention si ce n’est reproduire le dossier ayant conduit à d'injustes condamnations. Elles sont la transcription in extenso des témoignages sans correction aucune du dossier. Il semblait important de laisser les écrits dans « leur jus » de 1854 avec toutes les imprécisions qu'ils contiennent. Les patronymes changent au gré des lignes et du rédacteur, certains mots manquent, certaines questions sont incompréhensibles.
La justice a broyé 2 innocents laissant 2 femmes devenues veuves rapidement et 6 enfants orphelins. Et pourtant le crime accompli, la justice tenait au moins 2 des 4 vrais coupables : Marie François SELLIN veuve SINQUIN qui est auditionnée le 20 janvier et Jean Marie JAMBOU le 20 février. La légèreté des procès verbaux de ces deux personnes est stupéfiante en comparaison des multiples interrogatoires subis par Auguste BAFFET et Yves LE LOUARN. Il est étonnant de voir avec quelle rapidité ces deux là ont été quasi immédiatement désignés comme coupables. La vox populi désigne parfois des innocents en coupables et transforme de dangereux criminels en héros. Comment les magistrats et auxiliaires de justice ont ils pu se tromper à ce point ? Car ce n'est pas la Justice qui a failli, mais ce sont bien les hommes qui ont commis l'irréparable : l'erreur judiciaire.
Jean GUIGOURES est né Jean VIGOUROUX le 12 juin 1779 au village de Logan au Trévoux mais sa famille paternelle est originaire de Bannalec. Lorsqu'il se marie à Bannalec le 3 pluviose de l'An XIII (ou 23 janvier 1805) avec Jacquette LE DU (1768-1840), il est déjà cultivateur au Castel Coudiec. Le couple aura au moins 2 enfants morts en bas âge. Devenu veuf, Jean GUIGOURES se remarie à Bannalec le 12 juillet 1843 avec Marie Anne GESTALEN (1813-1874), sa cadette de 32 ans, fille d'Alain et Anne PERON. Exerçant la profession de cultivateur, Jean GUIGOURES exploite une bonne partie des terres appartenant à M. POIRIER de NOISSEVILLE, habitant Quimperlé. L'autre partie est affermée à Sébastien SINQUIN (1807-1844), meunier du moulin de Saint Cado. Jean GUIGOURES, sa femme et leur domestique Marie Louise LE NAOUR vivent modestement dans une minuscule masure vétuste du hameau de Castel Coudiec. Dans l'autre maison du village vit son neveu François GUIGOURES et sa famille.
La petite domestique Marie Louise LE NAOUR (1840-1902) est la fille de Charles François et d'Isabelle LE NAOUR.
Dans la nuit du 17 au 18 janvier 1854, entre minuit et une heure du matin, Jean GUIGOURES et sa femme sont réveillés en sursaut par le bruit de la porte qui vole en éclat. Deux individus font irruption dans la maison, l'un armé d'un fusil et d'un pistolet et l'autre tenant à la main une chandelle de résine. Ils ont la figure enduite de suie pour les rendre méconnaissables et portent des chemises sur leur vêtements et des linges blancs sur la tête. Après avoir maltraité violemment le couple GUIGOURES, ils les menacent de mort pour leur faire avouer où se trouve le trésor du Père GUIGOURES. Ce dernier ne cède pas et les deux assaillants, après avoir saccagé la maison et détruit toute la vaisselle, trouvent enfin une petite armoire fermée à clef, encastrée dans la table à manger. Après avoir fait sauter la serrure, ils découvrent plusieurs bourses et sacs remplis de pièces d'argent. Ils vident alors leur butin dans une coiffe trouvée sur place.
Les voyant occupés, Jean GUIGOURES veut aller chercher du secours auprès de son neveu et lentement se glisse vers l'entrée de la maison. Il est prêt à la franchir quand il est repoussé du bout d'un bâton par un troisième malfaiteur qui faisait le guet à l'extérieur. Ses deux complices le rejoignent aussitôt avec l'argent volé et les trois individus s'éloignent de Castel Coudiec. Ce que ces trois bandits ne savent pas, c'est que Marie Louise LE NAOUR la petite domestique est couchée dans un autre lit. Retenant son souffle, ne bougeant pas, restant immobile sous ses draps, elle a le courage de regarder et d'écouter ce qu'il se passe dans la maison de ses maîtres. Les bandits eux, ne l'ont pas vue.
Immédiatement après l'attaque et le départ des voleurs, les époux GUIGOURES se traînent jusqu'à la maison de leur neveu François GUIGOURES. Mis au courant, celui-ci réveille son gendre et ses deux fils et les quatre hommes se lancent à la poursuite des malfaiteurs. Ils sont rapidement sur leurs talons, les entendant même dire : « dépêchons-nous, on nous poursuit ». Mais cette nuit noire de janvier, ce froid saisissant et très probablement la peur de se confronter à des individus armés d'un fusil et d'un pistolet les forcent à cesser la poursuite.
18 janvier 1854
Très tôt le 18 janvier, François GUIGOURES et son gendre viennent au bourg de Bannalec pour rencontrer le Maire Adolphe CHARDON et lui raconter l'attaque de la nuit. Le Maire prévient aussitôt la gendarmerie locale et part vers Castel Coudiec avec Charles GARESSUS, Brigadier de gendarmerie, Mathurin COJAN et Jean Louis MIGNON tous deux gendarmes. Puis arrive le Juge de paix du canton de Bannalec. GARESSUS écrit deux lettres au Procureur Impérial à Quimperlé lui indiquant qu'il est avec le maire à Castel Coudiec à la recherche des auteurs du crime et qu'il l'attend, si toutefois il juge à propos de se déplacer.
Le même jour, 18 janvier, après avoir écouté les victimes, Adolphe CHARDON écrit également au Procureur Impérial : « J'ai l'honneur de vous informer que la nuit dernière vers minuit ou une heure un vol à main armée a été commis au lieu du Castel Coudiec en cette commune au préjudice de Jean GUIGOURES . On lui a volé 2000 à 2100 francs composés :
1°) de 900 francs renfermés dans une bourse en fil,
2°) 600 francs dans une ancienne poche de toile,
3°) 300 francs dans une vessie de porc,
4°) 80 pièces de deux francs dans une petite bourse en coton blanc,
5°) quelques pièces de 5 francs,
6°) d'environ 30 francs en billon.
Le vol a été commis par trois individus armés d'un fusil et d'un pistolet. Ils avaient le visage noirci, la tête cernée d'un linge. Deux sont entrés dans la maison et un autre est resté à la porte. Ils y sont entrés en soulevant la porte en la déplaçant de ses gonds au moyen d'un levier. L'un de ceux qui étaient dans la maison était vestu d'une chemise à col et l'autre d'une chemise sans col. En entrant dans la maison, ils ont allumé une chandelle de résine. Et ont dit qu'il leur fallait de l'argent et leurs attentions se sont posées sur Jean GUIGOURES vieillard âgé de 75 ans. Ils ont essayé de l'étrangler en lui serrant la gorge. Ils l'ont frappé et sorti du lit et l'ont mis en sang en menaçant de le tuer s'il ne leur disait pas où était son argent. Après avoir fouillé et soulevé plusieurs meubles l'un d'eux s'est approché de la table à manger dans laquelle … un tiroir qui était fermé à clef, a enlevé la serrure et à enlevé l'argent qui s'y trouvait. Marie Anne GESTALEN femme GUIGOURES qui était couchée avec son mari a été enlevée violemment de son lit. Elle a l'oeil droit contusionné et a reçu plusieurs coups de pied. Le mari se dit …... et ne peut pas se …... L'un des malfaiteurs paraissait âgé de 50 à 55 ans et à la barbe et les favoris grisonnants. L'autre paraissait plus jeune. Les deux prétendent que ce sont des artisans. Celui qui est resté à la porte était vêtu de toile et paraissait être un journalier. Je me suis transporté avec la gendarmerie sur les lieux où j'ai pris tous ces renseignements. Je n'ai pu trouver aucune trace ni indice qui auraient pu me mettre sur la piste des malfaiteurs. J'ai cru seulement remarqué dans la cour, sur le bord d'une marre, des traces de sabot bourgeois.L'un d'eux était ? Ce crime Monsieur le Procureur impérial est épouvantable et pourrait cependant rester impuni si on ne parvient pas par quelques circonstances inconnues jusqu'à présent à se mettre sur la trace des voleurs. Agréez Monsieur le Procureur Impérial, l'assurance de mon entier dévouement. »
Dès leur arrivée à Castel Coudiec les gendarmes ont relevé des empreintes partant de la maison de Jean GUIGOURES pour aboutir à la lande de Locmarzin. Ils peuvent suivre facilement ces traces sur environ 400 mètres. Puis ces empreintes se confondent avec d'autres mais toutes vont en direction de Bannalec. C'est donc dans ce bourg qu'il faut chercher les coupables. Immédiatement les noms de BAFFET et LE LOUARN circulent. Qualifiés d'individus audacieux et malfamés, le sort d'Auguste BAFFET et d'Yves LE LOUARN bascule dès le 18 janvier avec le procès verbal de la gendarmerie de Bannalec :
« Nous GARRESSUS Charles Brigadier, COJAN Mathurin et MIGNON Jean Louis gendarmes, rapportons que hier 18 de ce mois vers 9 heures du matin ayant été informés que dans la nuit du 17 au 18 courant un vol de 2 000 francs environ avait été commis avec effraction dans la maison et au préjudice du sieur GUIGOURES Jean âgé de 75 ans propriétaire au village du Castel Coudiec en la commune de Bannalec nous étant immédiatement rendus sur les lieux où étant le sus dit GUIGOURES que nous avons trouvé alité nous a fait la déclaration suivante : « la nuit dernière entre minuit ou une heure trois individus sont entrés chez moi avec une chandelle de résine allumée à la main pour y entrer ils se sont servi d'un fort levier de bois qu'ils ont passé sous la porte qui était fermée à clef avec lequel ils l'ont renverser dans l'intérieur. Le premier d'eux qui m'a paru être âgé de 50 à 60 ans avait une taille moyenne, il avait la tête couverte avec de la toile, la figure noircie de noir de fumée, il était vêtu à la mode d'ouvrier de la ville, il avait une chemise à colet haut qui recouvrait ses vêtements chaussé de sabots. Le 2° m'a paru être habillé de la même manière que le premier, il était âgé d'environ 40 ans, il avait également la figure noircie, taille assez élevée, la tête couverte de toile comme le précédent, excepté que le col de la chemise qui recouvrait ses vêtements était bas, il tenait d'une main un pistolet et de l'autre un fusil qui m'a paru simple. Le troisième de ces individus était vêtu en toile à la mode des paysans de la campagne. Il m'a paru être âgé de 30 à 35 ans, taille moyenne. Ce dernier est resté à garder la porte. Les deux premiers en rentrant m'ont dit il nous faut ton argent tu n'as pas d'enfants à nourrir. Je leur réponds si c'était du qu'il leur fallait que tout ce que j'avais, était à leur disposition, ils m'ont répondu que ce n'est pas du pain qu'ils voulaient mais de l'argent et que si je ne leur faisait pas voir où était le mien, ils allaient me tuer d'un coup de fusil. Ce disant, l'individu qui était porteur des armes me mis les bouts des canons sur la poitrine et me dit si j'avais le malheur de pousser un cri, j'étais mort. Sur mon refus de leur donner mon argent, celui qui me paraissait le plus ancien, sauta sur moi dans mon lit et me serra la gorge d'une telle force que j'ai perdu la respiration, me porta des coups de sabots sur la tête, sur la figure que j'en étais tout inondé de sang, m'arracha ensuite avec violence de mon lit ainsi que ma femme à laquelle il porta également plusieurs coups à la figure et aux divers parties du corps étant terrassée, ce dernier me porta encore plusieurs coups de sabots dans les reins, ? Dit nous où est ton argent. Le second qui me suivait moi et ma femme avec les cannons de ces armes nous disait : » si vous poussez le moindre cri , je vous tue ». il me quitta et fut à mon armoire qui est sans serrure, de laquelle il en retira tout le linge, n'ayant pas trouvé d'argent, il fut à un coffre qui était également sans serrure contenant de la vaisselle qu'il tira et brisa de là il fut à la table à manger dans laquelle, il s'y trouva un tiroir fermé du moyen d'une serrure qu'il fit sauter et y pris une somme de deux mille francs environ. Cette somme était répartie en plusieurs bourses, la première qui était en fil fermée au moyen d'un lacet contenait 900 francs, la deuxième qui était une vieille poche de pantalon en toile contenait 600 francs, la troisième qui était une bouffie contenait 300 francs toute cette somme en pièce de 5 francs. La quatrième était en coton d'une forme très longue contenait 80 pièces de 2 francs, plus trente francs en billon dispersés dans le tiroir qu'ils ont pris et mis dans une coiffe à ma servante et ont pris la fuite dans la direction de Bannalec. J''ai sorti aussitôt pour appeler au secours. Quatre individus de mes voisins sont arrivés à l'instant en chemise et ont aperçu les individus qui fuyaient mais craignant qu'ils ne tirent sur eux , ils n'osèrent les poursuivre. Le sus dit GUIGOURES n'ayant plus rien à ajouter à sa déclaration, a déclaré qu'elle contenait la vérité.
Nous avons en effet remarqué la porte fracturée et renversée dans l'intérieur de la maison. Les hardes et linges qui contenait la dite armoire pêle mêle dans ? De la maison ainsi que la vaisselle qui se trouvait dans le coffre, laquelle était totalement brisée. Le tirroire où était l'argent ouvert, la serrure qui en était détachée était sous la table. La figure du dit GUIGOURES était ensanglantée, plusieurs contusions s'y faisaient remarquer, sa chemise était déchirée et également tâchée de sang. Marie Anne GESTTALEN sa femme avait également une forte contusion sur l'oeil droit. Nous étant mis à faire des recherches dans la direction prise par les auteurs de ce crime, nous avons remarqué des empreintes de pieds nus pendant une distance de 300 mètres environ partant de la maison venant dans la direction du bourg de Bannalec. Nous avons également remarqué des empreintes de sabots presque neufs ayant 4 clous dans le talon. Nous avons suivi ces pas pendant 1 kilomètre environ toujours dans la même direction. Alors nos soupçons se sont portés sur les nommés BAFFET Auguste, cultivateur et LOUARN Yves journalier, individus audacieux et malfamés demeurant à Bannalec dans le bourg. Ayant fait prévenir de suite notre Lieutenant et M. le Procureur impérial de cet arrondissement à vouloir bien se transporter sur les lieux s'ils le jugent à propos ainsi que M. le Juge de Paix de ce canton qui a fait perquisition chez les susnommés lequel nous avons accompagné dans cette opération ainsi que notre Lieutenant qui était arrivé sur les lieux. De laquelle il en résulte qu'on a trouvé chez le sus dit BAFFET une chemise et une serviette sur lesquelles on a cru remarquer quelques tâches de sang qui se font remarquer, que nous avons saisi ainsi que le levier qui a servi à renverser la porte de la maison de la personne volée, la chemise qu'elle portait sur le corps au moment de la lutte ainsi que la serrure du tirroire où était renfermé l'argent pour être déposés au greffe du tribunal de Quimperlé pour y servir à conviction. M. le Procureur impérial étant arrivé sur les lieux ayant continué à l'instruction de cet affaire, nous avons rédigé le présent procès verbal en double expédition, l'original pour être remis à M. le Procureur impérial et copie pour être transmise par la voie hiérarchique à M. le Commandant de la compagnie du Finistère. »
Appelé en renfort comme auxiliaire de justice, le Juge de paix dirige la perquisition et rédige son rapport : « l'an 1854, ce jour 18 janvier, nous Juge de paix du canton de Bannalec arrondissement de Quimperlé agissant comme officier de police judiciaire, informé par M. CHARDON Maire de la commune de Bannalec qu'un vol avec effraction et en réunion avait été commis ce matin vers une heure par trois hommes chez Jean GUIGOUREZ époux de Marie Anne GESTALLIN cultivateur demeurant au lieu dit Castel Coudiou en la commune de Bannalec, nous nous transporté accompagné de ce magistrat et de M. le Capitaine de gendarmerie de Quimperlé chez Auguste Pierre Baptiste Prosper BAFFET époux d'Eliza KERORGAN, cultivateur demeurant au bourg de Bannalec où étant arrivés vers les deux heures de l'après midi, nous avons procédé, en présence des dits époux BAFFET et de leur consentement, à notre perquisition de la manière suivante : au rez de chaussée de leur maison d'habitation nous n'avons rien trouvé mais monté sur le grenier de cette maison, nous avons remarqué parmi le linge sale qui s'y trouvait une chemise d'homme en toile de coton maculée de boue et tachée de sang dans la partie inférieure ainsi qu'un linge ayant la forme d'une serviette et un mouchoir blanc portant les mêmes taches. Nous avons serré les dits objets que nous avons saisis en présence du dit BAFFET au moyen d'une ficelle sans nœud, aux deux bouts de laquelle nous avons adapté une feuille de papier au moyen de cire à cacheter rouge que nous avons scellé de notre sceau. Sur notre interpellation Auguste BAFFET à …. cette boule de papier. Ayant ensuite interpellé le dit BAFFET de nous expliquer les taches de sang remarquées sur les objets par nous ainsi saisies pour servir au besoin de pièces de conviction, il nous a déclaré que les taches de sang remarquées sur la chemise ne pouvaient provenir que de sa femme qui avait également du tacher de sang le linge en forme de serviette dont il s'était servi comme cravate autour du col où elle avait une plaie. Il a ajouté n'être point sorti de la maison depuis six heures hier au soir jusqu'à cinq heures le matin et n'avoir chez lui ni fusil ni pistolet et ne s'être rasé depuis le dimanche 8 de ce mois qu'aujourd'hui vers les 11 heures du matin. La femme BAFFET s'étant présentée nous a déclaré se nommer Eliza KERORGAN et être âgée de 40 ans.l'ayant interpellé de nous déclarer si elle s'était servi du linge saisi ayant la forme d'une serviette sur lequel nous avons remarqué une tâche de sang, elle nous a déclaré que le linge ne lui avait jamais servi mais que la tâche de sang pouvait provenir d'un de ses enfants auquel il avait servi. Elle nous a également déclaré que son mari s'était couché hier vers les 7 heures du soir et qu'il ne s'était levé ce matin que vers les 6 heures. Lecture faite de ce procès verbal rédigé en présence de M. le Maire. Aux époux BAFFET y ? il était signé avec nous Messieurs le Maire et le Capitaine de gendarmerie sus mentionnés.
Continuons notre opération nous Juge de paix sus dit et soussigné agissant en la même qualité et dans les mêmes conditions, nous nous sommes transporté accompagné comme ? De messieurs le Maire de Bannalec, du Capitaine de gendarmerie de Quimperlé au domicile de Yves LE LOUARN et de Yves BLEUZEN, les deux journaliers au bourg de Bannalec où nous avons également procédé à une perquisition qui n'a donné aucun résultat. Ces individus interpellés s'ils avaient des armes à feu et ce qu'ils avaient fait de leur temps pendant la nuit dernière, ont répondu n'avoir aucune arme à feu et être allé se coucher hier vers les 7 heures du soir et ne s'être levé ce matin que vers les 5 heures. Lecture faite du présent procès verbal aux dits LE LOUARN et BLEUZEN, ils ont déclaré ne savoir signer ce que nous avons fait avec M. le Maire de Bannalec et M. le Capitaine de gendarmerie de Quimperlé. »
Le 18 janvier à 5 heures du soir, Bernard Pierre ABYVEN, Juge d'instruction près le Tribunal de première instance à Quimperlé, prend une ordonnance de transport immédiat au bourg de Bannalec. Il est accompagné de M. CLARET Procureur Impérial et M. DAHERON commis greffier. Arrivant vers les 7 heures du soir à Bannalec ils apprennent par le Maire et le Juge de paix que ces derniers ont déjà commencé une information au sujet du vol et que les procès verbaux dont ils ont commencé la rédaction leur seront communiqués demain matin. Le Maire et le Juge de paix désignant BAFFET et LE LOUARN comme gravement soupçonnés de faire partie de la bande de malfaiteurs qui a volé le dit Jean GUIGOURES, le Juge d'instruction décerne contre eux un mandat d'amener. Compte tenu de l'heure tardive, les arrestations sont reportées au lendemain matin.
19 janvier 1854
Vers 9 heures du matin, le Juge d'instruction ABYVEN se transporte en compagne du Procureur Impérial, du commis greffier et des gendarmes en la demeure de Jean GUIGOURES, cultivateur-propriétaire demeurant au village de Castel Coudiec. éloigné du bourg d'environ 6 kilomètres. Ils y arrivent vers 11 heures du matin. Entrés dans la maison, ils trouvent Jean GUIGOURES alité et paraissant très souffrant des mauvais traitements subis. Le village de Castel Coudiec situé sur les limites de la commune de Bannalec et de celle du Trévoux, est composé de 3 corps de ferme, 2 au nord et 1 au sud, éloignés seulement l'un de l'autre d'environ 30 mètres. La maison de Jean GUIGOURES est placée au midi du village, elle n'a d'ouverture qu'une porte placée près du pignon est et d'une petite ouverture servant de fenêtre au sud et vers le haut de la maison. La porte est dans le plus mauvais état, la planche qui la forme est vermoulue. La planche du bas de cette porte n'est attaché au montant que par quelques mauvais clous et repose sur une membrure servant de seuil élevée du sol de la maison d'environ 3 décimètres.
Cette porte, à raison de sa vétusté, laisse dans le bas un intervalle assez spacieux pour pouvoir passer la main entre le seuil et cette partie de la porte, de sorte qu'on a pu sans effort, soit avec la main, soit avec un levier la dégonder et la jeter dans l'intérieur de la maison. La fenêtre n'est pas en meilleur état et ne ferme qu'avec un volet de bois aussi vermoulu. L'intérieur de la maison renferme 3 armoires, plusieurs bancs et 2 lits dont un placé à la droite du foyer et l'autre à gauche de la table à manger. Dans le premier couchent les époux GUIGOURES et dans le second la jeune servante Marie Louise LE NAOUR.
Dans le fond de la table à manger ont été fabriquées 2 petites armoires dont l'une , celle de droite, ferme à clef. La serrure de la porte de cette petite armoire a été violemment arrachée et l'on voit vis à vis de la serrure détachée quelques griffures qui paraissent avoir été faites avec un instrument en fer. Au moment où les magistrats viennent de terminer leurs constatations, les gendarmes de Bannalec arrivent à Castel Coudiec avec les nommés Auguste Pierre Marie BAFFET aubergiste et cultivateur au bourg et Yves Le LOUARN, journalier au dit bourg.
Laissant les deux individus sous la garde des gendarmes, le Juge d'instruction décide de recevoir les déclarations de Jean GUIGOURES, de sa femme et de la servante, puis d'organiser une confrontation avec les deux suspects pour savoir s'ils les reconnaissaient pour être ceux qui ont pénétré dans leur domicile dans la nuit du 17 au 18 courant et qui auraient commis le vol et exercé les mauvais traitement dont ils se plaignent.
Jean GUIGOURES est le premier à témoigner : « Je dépose que mardi au soir 17 du courant vers minuit ayant déjà fait un somme, je fus éveillé par le bruit de ma porte qui avait dégondé et jetée dans l'intérieur de ma maison. Au moment où cette porte tombaient, j'entendis une voix dire « ouvrez la porte » ; au même instant apparurent 2 hommes dont la figure était barbouillée de noir. L'un deux tenait une chandelle de résine qui était allumée et qu'il avait du allumer dans la cour . Cet homme avait une blouse bleue passé, une cravate blanche et un pantalon dont je ne puis pas désigner la couleur. Cet individu était de moyenne taille, fortement constitué ayant une barbe d'environ 8 jours, grisonnant, était chaussé de soulier. Cet homme monta sur le foyer et sur le banc qui est à côté de mon lit, dit à ma femme et moi même de montrer promptement parce qu'il leur fallait de l'argent. Je leur observai que je n'en avais pas, que s'ils avaient faim ils pouvaient manger du pain, des crèpes et du beurre. Ce n'est pas du pain que nous cherchons mais bien de l'argent, nous avons des enfants à nourrir. Au même instant il saisit ma femme qui couchait sur le bord du lit, l'arracha violemment et la jeta à terre , ? il me saisit également par le haut de ma chemise et me traîna sur l'aire de la maison, il me p.... le cou, me porta plusieurs coups de pieds dans la partie inférieure du corps et un violent coup de poing sur la figure, il me dit d'une voix menaçante : si vous ne me faites pas connaître l'endroit de votre argent, je vous tuerai et mettrai le feu sur vous. Je persiste à maintenir que je n'avais pas d'argent alors cet homme se mit à fouiller les bancs et la petite armoire qui se trouvaient en haut de la maison n'y ayant trouvé que la vaisselle de terre dans un des coffres bancs, de rage il la jeta par terre et la brisa. Ayant découvert que le côté gauche de la table avait 2 petites armoires dont l'une était fermée à clef, il fit sauter la serrure à l'aide d'un outil de fer ….pas pu remarquer, là se trouvaient mes réserves qui consistaient : 1°) une bourse tricotée en fil et renfermant 900 en pièces de 5 francs, 2°) une vieille poche en toile contenant 600 francs, 3°) une vessie renfermant 300 francs en pièces de 5 francs, 4°) une petite bourse de coton blanc renfermant 20 pièces de 2 francs, 5°) et environ 30 francs en monnaie de billon le tout renfermé dans un sac de toile. A côté de ce billon, j'avais mis dans un morceau de papier 4 pièces de 50 centimes et 1 pièce de 5 centimes à l'effigie de Napoléon. En retirant ces ? Du tiroir de la table, le malfaiteur remis le sac contenant 900 francs et ma seconde bourse à l'homme qui se trouvait armé d'un fusil et d'un pistolet et qui se tenait debout à l'angle gauche de la table à manger, son camarade prit la coëffe de ma servante placée sur le banc qui est aux pieds de son lit, y plaça le reste de l'argent volé et sortit de la maison en même temps que l'homme armé. Celui ci est un homme aussi de moyenne taille, un peu plus grand que le premier il était aussi vêtu d'un pantalon, chaussé de souliers à ce que je crois ou des sabots à la mode de la ville, il avait par dessus ses autres vêtements à large collet à la mode de la ville. Je ne suis pas sur s'il avait un mouchoir ou une serviette autour de la tête, il portait qui m'a aussi paru blanche. Dans le trouble où j'étais, je n'ai pas pu apporter toute l'attention désirable. Je crois cependant que les deux pantalons des voleurs qui sont entrés dans la maison étaient bleu. L'homme armé d'un pistolet et d'un fusil ne m'a porté de coups mais il me disait à chaque instant : « si vous criez ou si vous ne me faites pas connaître l'endroit où est votre argent, je vous tuerai » en proférant ces menaces il posait les canons de ces armes sur ma poitrine. Pendant que le malfaiteur retirait les bourses et les sacs du tiroir de la table à manger, je me …. vers le bas de la maison et voulu sortir pour appeler au secours mais un troisième individus se trouvait faire le guet à la porte. Il me donna une poussée dans la poitrine et me fit rentrer dans la maison. Ce troisième individu n'avait pas la figure noircie, il portait le costume de Bannalec, portant veste et pantalon de toile et coiffé d'un chapeau plat et chaussé de sabots. Cet homme que j'ai cru reconnaître pour être le domestique de Joseph BAFFET est fortement constitué et de petite taille. J'avais dit à M. le Maire que j'avais pris cet homme pour le nommé PENQUERCH, journalier à Locmarzin parce que le domestique de BAFFET et ce PENQUERCH ont une grande ressemblance. Cet homme n'est pas entré dans la maison parce que probablement il craignait d'être reconnu par moi, en me repoussant avec le bout de son bâton, il n'articula pas une seule parole. Les deux malfaiteurs qui sont entrés dans la maison parlaient tantôt breton, tantôt français et proféraient le jurement à chaque mot . Depuis cet événement, je me force à garder le lit ayant de la peine à me remuer par les douleurs que j'éprouve dans toutes les parties du corps, des coups et des mauvais traitements exercés sur moi par les deux misérables dont je viens de parler et ne sais autre chose si ce n'est que les malfaiteurs ont pris la direction du couchant vers le village de Goulis. Je suis sorti pour appeler mes voisins mais avant qu'ils ne se fussent habillés, les malfaiteurs avaient mis la distance entre eux et le village. »
Question : n'avez vous pas cru reconnaître à la voix l'un ou l'autre des malfaiteurs qui ont pénétré dans votre habitation ?
Réponse : non, car ces malfaiteurs me semblaient déguiser leur voix. »
Puis c'est au tour de Marie Anne GESTALEN épouse GUIGOURES : « Je dépose que mardi dernier 17 du courant vers minuit mon mari et moi qui couchions dans le lit qui est à la droite du foyer, fumes réveillés par le bruit de notre porte qui fut jetée dans l'intérieur après qu'elle avait été dégondée. Aussitôt deux individus dont la figure était noircie et qui avait pour coiffure soit des serviettes, soit des mouchoirs blancs apparurent. L'un d'eux portaient à la main une chandelle de résine qu'il avait allumé dans la cour, l'autre était armé d'un fusil et d'un pistolet sans que je puisse dire si ce fusil était à un coup ou à deux coups. Celui qui tenait une chandelle à la main, s'approcha du foyer en demandant d'une grosse voix : « où sont les personnes de la maison ? ». Nous voici lui ai-je répondu que voulez vous ? De l'argent répondit-il. Mais nous n'en avons pas ! Si vous avez ….. Prenez du pain et des crêpes. Ce n'est pas ni du pain, ni des crêpes que nous désirons mais de l'argent, nous avons des enfants à nourrir. Au même instant, cet homme me saisit par le bras et m'arracha violemment du lit, me jeta sur l'aire de la maison, me donna plusieurs coups de pieds et me pressa le cou de peur probablement que je ne crie. Il en fit autant à mon mari. Le second malfaiteur nous plaça à l'un comme à l'autre le canon du fusil sur la poitrine en menaçant de nous tuer si nous ..crier quelques cris et si nous ne fassions pas connaître où était notre argent. Comme nous persistions à nier que nous n'avions pas d'argent, le premier se mit à fouiller dans les bancs et les armoires où il ne trouva que de la vaisselle qu'il brisa. Ayant découvert deux petits tiroirs ou armoires pratiqués dans le grenier de la table à manger, brisa à l'aide d'un instrument en fer la serrure de la porte du tiroir à droite, en retirant plusieurs bourses et sacs et dans lesquels il y avait de l'argent et du billon. Je ne puis pas évaluer les sommes volées parce que c'est mon mari qui s'occupait de toucher l'argent, de compter et le ramasser mais il me certifie qu'on nous avait soustrait 2 000 francs. Le malfaiteur qui retirait cet argent du tiroir de la table en remis quelques sacs à son camarade qui était armé du fusil et du pistolet, remit le surplus dans la coiffe de notre jeune servante placée dans un coffre près du lit.Pendant ce temps mon mari s'approcha de la porte et voulut sortir mais il fut repoussé par un troisième voleur qui faisait le guet à l'intérieur et près de la porte. Les deux malfaiteurs qui pénétré dans la maison nous parut être de moyen âge, de forte constitution. Ils parlaient alternativement le français et le breton, ils avaient la tête entourée de mouchoirs blancs, portaient des pantalons bleus et il me semble qu'ils avaient l'un et l'autre des chemises par dessus leur veste. Marie Louise LE NAOUR notre jeune servante n'a éprouvé aucun mauvais traitement parce qu'elle n'a pas remué dans son lit et que probablement les malfaiteurs ne savaient pas qu'elle y fut. »
Après ces deux premières déclarations des victimes, le Juge d'instruction ABYVEN décide de la confrontation et fait comparaître Auguste BAFFET et Yves LE LOUARN. Après avoir fermé la porte et la fenêtre de la maison des époux GUIGOURES, le Juge d'instruction fait allumer une chandelle de résine et fait comparaître l'un après l'autre les deux inculpés revêtus par dessus leurs hardes de la chemise de la toile trouvée au domicile d'Auguste BAFFET, entourer la tête de la serviette trouvée chez le même et fait mettre en guise de cravate, un mouchoir blanc appartenant au même. BAFFET doit alors répéter en langue bretonne les demandes et menaces que les malfaiteurs avaient dites ou proférer au moment du vol. Il est demandé aux époux GUIGOURES et à leur servante s'ils croient reconnaître, soit à la taille, soit à la voix le dit BAFFET pour être l'un des malfaiteurs. Unanimement, ils ne peuvent affirmer que ce soit lui l'un des voleurs. Cependant la jeune LE NAOUR déclare que la chemise qui couvrait les vêtements du voleur qui était armé d'un fusil et d'un pistolet, ressemble à celle que porte actuellement Auguste BAFFET mais elle ne reconnaît pas cet individu à la voix.
Après avoir fait sortir BAFFET, Yves LE LOUARN est revêtu de la même chemise, serviette et cravate et lui aussi, doit prononcer les mêmes menaces. Jean GUIGOURES et sa femme ne peuvent pas le reconnaître formellement mais la jeune Marie Louise LE NAOUR leur servante croit bien reconnaître LE LOUARN à sa taille et à sa voix pour être celui qui est entré armé d'un fusil et d'un pistolet dans la maison sans être cependant certaine que ce soit le même.
L'heure étant avancée et compte tenu de la difficulté des chemins, le Juge ABYVEN décide de clore le procès verbal et se retire au bourg de Bannalec pour y passer la nuit et y attendre les témoins qu'il a fait citer à comparaître. Le 20 janvier 1854, à partir de 9 heures du matin les auditions des inculpés et des différents témoins vont se succéder.
C'est Marie Louise LE NAOUR, la petite servante qui va être entendue la première, à l'hôtel GILBERT, qui devait se nommer également « Hôtel du Lion d'or ». Elle ne prête pas serment eu égard à son âge et fait sa déposition en breton. Elle dépose : « que dans la nuit de mardi à mercredi dernier, je suis réveillée au milieu de la nuit et entendu plusieurs individus s'approcher de notre maison. J'entendis une voix dire, jeter la porte dedans et à l'instant même, la porte tomba dans l'intérieur de la maison. Deux hommes entrèrent, l'un deux tenait une chandelle de résine à la main et l'autre était porteur d'un fusil et d'un pistolet. Le premier avait autour de la tête soit une serviette soit un mouchoir blanc et une cravate de la même couleur. Il était vêtu d'un pantalon et chaussé de souliers, le pantalon était de coton bleu, autant que je puis croire, il avait par dessus les vêtements une chemise fine. Le second était je crois chaussé de sabots à la mode de la ville comme portent les artisans du bourg. Celui qui portait la chandelle était chaussé de soulier, celui ci porta la parole et demanda où sont les gens de la maison ? Il lui fut répondu par GUIGOURES et sa femme : nous voici que nous voulez vous ? Dépêcher vous de vous lever leur dit-il, il nous faut de l'argent et aussitôt saisit ma maîtresse par le bras, la jeta sur l'aire de la maison et lui donna quelques coups de pieds par le ventre. Il saisit de la même manière Jean GUIGOURES, l’entraîna hors du lit et lui porta des coups de poings et des coups de pieds lorsqu'il était à terre. Son camarade qui était armé d'un fusil et d'un pistolet avait autour de la tête un mouchoir bleu et blanc et portait une chemise faite à la mode des campagnards par dessus ses vêtements. Cette chemise était en grosse toile, je n'ai pas remarqué si elle avait un grand collet ou un collet étroit, je n'ai pas non plus remarqué s'il était porteur d'une cravate. Ce second malfaiteur s'approcha de mon maitre, lui pressa fortement le cou en disant : « dis nous bien vite où est ton argent ou nous allons te tuer, j'ai une femme et des enfants à nourrir, au lieu que toi tu n'en as pas. Il lui plaça un pistolet sur la poitrine et menaça de faire feu. L'autre malfaiteur pressait également GUIGOURES de lui indiquer l'endroit où était son argent. Mon maitre leur observait qu'il avait cessé de faire valoir ses terres, il ne pouvait pas avoir d'argent en réserve. Si fait, si fait tu en as car nous le savons GUIGOURES en refusant à leur indiquer l'endroit où était son trésor, le voleur qui portait la chandelle se mit à ouvrir les armoires et les coffres et les bancs placés en haut de la maison. N'ayant pas trouvé d'argent dans ces meubles de dépit il se mit à briser la vaisselle de terre qui était renfermée dans un des coffres,puis s'étant approché de la table à manger, il découvrit qu'on avait prodigué au fond de cette table deux petites armoires dont l'une était fermée à clef. Il força le battant de cette petite armoire et parvint à faire sauter la serrure. Je ne sais de quelle manière parce qu'il avait le dos tourné, ce qui m'empêchait de voir ce qui se passait. Il retira de cette armoire plusieurs bourses et sacs remplis d'argent qu'il plaça d'abord sur le banc près de mon lit, remit une partie de ces sous à celui qui était porteur d'armes, ramassa le surplus dans une coëffe de coton m'appartenant qu'il trouva sur un coffre attenant à mon lit. Il dit à son camarade en français des paroles que je ne compris pas bien, cependant je crois qu'il lui disait, sortons. Ils se sont retirés. Après leur départ, je m'aperçus que GUIGOURES avait la tête ensanglantée et avait une blessure au dessus de l’œil gauche. Pendant que l'un des malfaiteur retirait les sacs d'argent de la petite armoire de la table, mon maître voulut sortir pour chercher du secours mais rendu à la porte, il trouva un troisième malfaiteur qui le repoussa dans la maison avec le bout d'un baton qu'il tenait à la main. Celui qui était armé d'un fusil et d'un pistolet entraîna GUIGOURES vers le haut de la maison près du foyer et se mit de suite debout à l'angle de la table de sorte qu'il n'y avait pas moyen de chercher à fuir. Après le départ des malfaiteurs, GUIGOURES et femme sortirent en chemise et réclamèrent le secours du voisin. Je ne sais si ce dernier a poursuivi les malfaiteurs. Au point du jour le nommé François et moi sommes venus au bourg de Bannalec donner connaissance à M. le Maire de ce qui s'était passé chez nous pendant la nuit. On m'a dit que les malfaiteurs avaient laissé des empreintes de sabots et de souliers sur la terre mais je ne les ai pas vues. Les deux malfaiteurs que j'ai vus dans la nuit du 17 au 18 janvier .. celui qui tenait la chandelle à la main était plus gros et moins grand que son camarade et il m'a paru gêné de la parole. J'ai été confronté dans la journée d'hier avec BAFFET et LE LOUARN. Je n'ai pas pu reconnaître précisément à la parole le premier, quand au second je trouvais de la ressemblance entre sa voix et celle de celui qui était porteur d'un fusil et d'un pistolet, sa taille est la même. BAFFET a aussi à peu près la corpulence et la taille de celui qui portait la chandelle et qui a découvert l'endroit où était l'argent. Cependant je ne saurais affirmer que ces deux hommes sont les coupables ….. j'ai déposé soupçon contre eux et ne sais autre chose.
Question : la blessure de Jean GUIGOURES a-t-elle répandu beaucoup de sang, y en avait-il sur l'aire de la maison ?
Réponse : mon maître a perdu beaucoup de sang de deux blessures qu'il avait à la tête, l'une au dessus de l’œil gauche et l'autre à la lèvre. On voyait sur l'aire de la maison des taches de sang que cette blessure avait répandu.
Question : après que les malfaiteurs eussent maltraité vos maîtres avez vous remarqué des taches de sang sur les chemises et sur le linge qui les couvrait et particulièrement au bas de la chemise fine ?
Réponse : je n'ai porté attention à ce fait. Pendant cette scène malheureuse je ne suis pas sortie et les malfaiteurs ne m'ont rien dit ni fait aucun mal mais je voyais bien ce qu'ils faisaient. »
A 10h au Lion d'or, François GUIGOURES, le neveu, confirme les propos des victimes disant que les malfaiteurs avaient pris la fuite par la chaussée de l'étang. Qu'avec son gendre et ses deux fils ils avaient décidé de les poursuivre. Que lui n'a rien entendu mais que son gendre et son fils Louis qui le précédaient de quelques pas, ont entendu au delà de la chaussé une voix dire : « ah on est à notre poursuite ». Puis ils ont abandonné la poursuite car ils étaient simplement vêtus d'une chemise et de leurs sabots. Le lendemain matin François GUIGOURES est allé chez le maire au bourg pour porter plainte. Il sait que son oncle passe dans le pays pour avoir beaucoup d'argent. Il déclare que la meunière du moulin neuf ne lui a jamais parlé et ne lui a jamais dit que son oncle ne tarderait pas à être volé. Il ajoute qu'avec son gendre et ses fils, ils ont suivi des traces de sabots ayant des clous de cheval au talon et des empreintes de pieds qui partaient de la maison de son oncle vers le pont dit Pont Castel jusqu'aux landes du Castel distantes d'environ 300 mètres.
À 11 heures, Mathieu BACON se présente à l'hôtel Gilbert: en breton, il dépose être âgé de 30 ans, cultivateur et demeurer chez son beau Père François GUIGOURES. Il confirme avoir été réveillé par les cris de Jean GUIGOURES qui venait demander de l'aide dans la maison de son neveu. Avec ses deux beaux frères et son beau père il s'est lancé à la poursuite des malfaiteurs qui avaient pris la direction de Pont Castel. Il a aussi entendu les voleurs dire : « dépêchons-nous, fuyons car on nous poursuit » mais n'a vu personne. Simplement habillés d'une chemise, les poursuivants ont préféré rentrer au village. Avant d'aller se coucher, Mathieu BACON est passé par la maison de Jean GUIGOURES et a remarqué les violences subies par le couple GUIGOURES et le saccage de la maison.
À 12h, répondant à la convocation du magistrat instructeur, Françoise LE SELLIN veuve SINQUIN se présente à l'hôtel GILBERT pour faire sa déposition en breton : « Je me nomme Françoise LE SELLIN âgée de 37 ans, femme de Sébastien SINQUIN, meunier au moulin neuf, commune de Bannalec. Je dépose que je n'ai aucune connaissance de ce qui s'est passé au village de Castel Coudiec dans la nuit du 17 au 18 de ce mois, je ne connais pas les auteurs du vol.
Question : n'avez vous pas dit il y a quelque temps à la femme de François GUIGOURES qu'il était à votre connaissance que Jean GUIGOURES serait volé sous peu de temps ?
Réponse : je n'ai jamais dit cela, ni à la femme de François GUIGOURES, ni à qui que ce soit. Jamais personne ne m'a parlé que Jean GUIGOURES avait de l'argent, ni qu'on eu l'intention de le voler. »
Toujours à l'hôtel du Lion d'or, Marie Anne GESTALEN à 13 heures et son mari Jean GUIGOURES à 17h30 confirment en breton leurs premières déclarations
Puis c'est au tour des gendarmes. Charles GARESSUS, Jean Louis MIGNON et Mathurin COJEAN font leur déposition en français : « ….. que mercredi dernier, 18 courant, vers les 8 heures du matin, M. CHARDON maire de Bannalec, vint à la caserne nous prévenir qu'un vol à main armé avait eu la nuit précédente au village de Castel Coudiec en cette commune et requit M. le Brigadier de lui donner deux gendarmes pour l'accompagner sur les lieux. Nous avons suivi le maire jusqu'au domicile du nommé Jean GUIGOURES, du village de Castel Coudiec. En entrant dans cette maison nous avons vu la porte d'entrée jetée dans l'intérieur de la maison et une grosse trique ayant servi de levier pour faire sortir cette porte de dessus ses gonds. Cette porte était en très mauvais état. À notre entrée dans la maison nous avons trouvé les armoires ouvertes, des hardes et linges qu'elles renfermaient épars çà et là sur l'aire de l'appartement. Une petite armoire pratiquée dans la table à langer avait été ouverte à l'aide d'effraction, la serrure en était détachée et tombée entre la table et le banc du lit de la servante. Un grand coffre jeté à gauche du foyer était aussi ouvert, et une assez grande partie de la poterie qu'il contenait avait été brisée et jetée à terre. Jean GUIGOURES maître de la maison était couché et paraissait très souffrant. Il avait la figure contusionnée et ensanglantée et il nous raconta que pendant la nuit et à peu près vers minuit, deux malfaiteurs entrèrent dans la maison après avoir jeté la porte dans l'intérieur. Ces deux individus avaient la figure noircie et portaient sur leurs vêtements chacun une chemise dont une avit un grand col à la mode de la ville, qu'ils étaient habillés en artisan, ils avaient l'un et l'autre la tête entortillée de toile, que l'un était assez gros, (le plus âgé) et aussi grand que son camarade qui portait une barbe de plusieurs jours, grisonnants et des favoris, que celui ci entra dans la maison une lumière à la main et le second armé d'un fusil et d'un pistolet, le gros lui dit : il faut que tu me donnes de l'argent, toi tu n'as pas d'enfant à nourrir. GUIGOURES lui proposa du pain et des crêpes s'ils en avaient besoin, qui lui répondit que ce n'était pas du pain et des crêpes qu'il lui fallait mais de l'argent. Ensuite il saisit la femme et l'arracha violemment du lit, pressa le bras de Jean GUIGOURES et finit par le jeter sur l'aire de la maison et lui porta des coups de pieds et des coups de poing sur les différentes parties du corps. Pendant que le premier le maltraitait ainsi, le second lui appliqua sur la poitrine le canon du pistolet et du fusil en lui disant : « si tu cries, tu es un homme mort » , le plus gros se mit à fouiller le meuble que pendant ce temps, GUIGOURES s'approcha de la porte et voulut sortir pour appeler au secours, avant qu'il en fut empêché par un troisième qui se trouvait à la porte qui lui donna un coup à l'estomac et le força à reculer. Que l'homme porteur d'un pistolet et d'un fusil, la saisit violemment par le collet et l'amena jusqu'au foyer ; que celui qui était occupé à fouiller les meubles ayant trouvé une petite armoire pratiquée dans la table à manger, fractura ce meuble et y trouva environ 2 000 francs et renfermé dans diverses bourses et sacs, qu'ils emportèrent. D'après ce récit, M. le maire demanda à GUIGOURES s'il avait reconnu quelques uns des malfaiteurs. Le gros ressemble bien à PIERIC postillon chez les époux GILBERT. On lui observa que cela n'était pas possible parce que cet homme était en route lors du vol. si ce n'est pas lui, c'est quelqu'un qui lui ressemble. Quant à celui qui était armé d'un fusil et d'un pistolet, je crois que c'est Yves LE LOUARN, journalier, carrier du même bourg, et celui qui m'a empêché de sortir et qui se tenait à l'extérieur de la maison serait, je crois, le nommé Louis PENQUERCH du village de Locmarzin près le bourg de Bannalec. Nous sommes ensuite sortis pour voir si nous découvrions pas des traces et des empreintes de pas soit dans la cour, soit dans le chemin du village. Dans la cour même, nous avons remarqué sur la terre l'empreinte faite avec un sabot fait à la mode de la ville, plus loin des traces de pieds nus et des empreintes des sabots dont le talon avait 4 clous. A chevaux, nous avons suivi ces trous qui se dirigeaient vers le bourg de Bannalec pendant au moins une longueur d'un kilomètre. Là nous avons perdu les traces parce que .. dans une lande que les individus avaient probablement traversé mais un peu plus loin nous avons remarqué les mêmes empreintes mais elles ont disparu avant notre arrivée à Locmarzin. Nous avons assisté aux perquisitions qui ont eu lieu chez LE LOUARN. Cet inculpé avait une ….. qui avait dans un des sabots qu'avait 4 cheval dans le talon du sabot du pied droit seulement. Ce talon laisse sur la terre des empreintes à peu près semblables à celles que nous avons remarquées entre Castel Coudiec et Locmarzin. Cependant deux des clous du sabot de LE LOUARN paraissaient plus rapproché que le sabot dont les empreintes ont été remarquées au Castel Coudiec ou trouvé chez LOUARN ni argent ni …. La femme GUIGOURES s'est aussi plainte d'avoir trois ou quatre coups de pied de l'un des malfaiteurs. »
Le 19 janvier, François Marie Théophile BEAUGENDRE, Docteur en médecine se déplace à Castel Coudiec sur réquisition du Juge d'instruction pour constater l'état des victimes GUIGOURES. Il trouve Jean GUIGOURES alité où il procède à l'examen : la lèvre supérieure, la face et le menton sont tâchés de sang ; la lèvre supérieure tuméfiée présente près de son bord et allant jusqu'à la commissure droite une excoriation profonde de deux centimètres de longueur ; le cou paraît gonflé et Jean GUIGOURES dit y ressentir de la douleur qu'il attribue à la pression violente exercée sur son cou ; le côté gauche du dos et la partie supérieure de la fesse gauche sont tuméfiés et douloureux au toucher mais ne présentent aucune traces d'ecchymose ; ces diverses lésions paraissent le résultat de coups de poing portés sur la figure, de coups de pied chaussé de sabot sur sur le dos et une forte pression exercée avec la main sur le cou. Le peu de gravité des lésions ne nécessite pas une incapacité de travail de plus de 8 jours.
Curieusement, le Docteur BEAUGENDRE n'examine pas Marie Anne GESTALEN épouse GUIGOURES.
20 janvier 1854
Le Juge d'instruction ABYVEN délivre 2 mandats d'arrêt :
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L'un contre Auguste BAFFET (51 ans, 1,60 m, front haut, yeux gris, nez long, bouche moyenne, menton rond, cheveux grisonnants, sourcils gris, visage ovale, teint coloré) et l'autre contre Yves LE LOUARN (37 ans, 1,64 m, front haut, yeux gris, nez long, bouche moyenne, menton rond, cheveux noirs, sourcils noirs, visage ovale, teint coloré)
Auguste Pierre Baptiste Prosper BAFFET est né au bourg de Bannalec le 27 germinal an X (ou 17-04-1802) fils de Jean BAFFET dit LAVIGNE Brigadier de gendarmerie et de Véronique Catherine Josèphe VISTORTE. Le 10 mai 1834 il se marie avec Césarine Elisabeth de KERORGANT née le 24-10-1808 de parents inconnus. Élevée au couvent des filles du Calvaire de Landerneau, en 1834, elle exerce la profession d'institutrice et habite Quimper. A l'époque des faits, le couple a 4 enfants :
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Noémie, Marie, Josèphe née le 25-02-1835
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Léontine, Eliza, Faustine, née le 14-05-1839
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Fanie Eliza, née le 04-08-1841
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Azoline, Véronique née le 24-12-1851
LE LOUARN Yves est né le 25-11-1817 à l'Eglise blanche en Bannalec, fils de Joseph journalier et de Marie LE GOAPPER. Le 07-05-1844, il se marie avec Catherine ROLLET née à Pont Aven le 20-07-1812. Au moment du drame, le couple a 2 enfants :
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Catherine, née le 04-09-1846
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Louis Yves, né le 07-11-1849
Des mandats d'amener sont également délivrés contre Jean Marie JAMBOU, Isidore GUIFFANT, Louis PENQUERCH et Jean MARREC. Vers 4 heures du soir, ABYVEN interroge pour la première fois Yves LE LOUARN. Répondant en français, il dit se nommer Yves LE LOUARN, 37 ans, journalier demeurant au bourg de Bannalec, marié, deux enfants, sait signer.
Question : « existait-il une certaine intimité entre Auguste BAFFET et vous ? »
Réponse : « BAFFET et moi nous nous connaissons, nous nous parlions sur la rue mais nous nous fréquentons pas. »
Question : « où avez vous passé la journée de mardi dernier ? »
Réponse : « à la carrière de Tallec à extraire des pierres pour le compte de Jean Marie BERTHELOT »
Question : « Auguste BAFFET ne charroyait il pas ce jour là ou la veille des pierres de cette carrière ? »
Réponse : « pas de cette carrière mais d'une autre située en la commune de Scaër »
Question : « à quelle heure êtes vous rentré chez vous dans la soirée du 17 ? »
Réponse : « un peu avant 6 heures et demie »
Question : « qui est venu vous voir le reste de la soirée et à quelle heure vous êtes vous couché ? »
Réponse : « après souper j'ai fumé la pipe et me suis mis au lit vers les 7 heures et demie. Il n'y avait dans la maison que ma femme et mes enfants, mais après m'être couché il est entré une femme pour acheter des crêpes. »
Question : « ne vous êtes vous pas levé au milieu de la nuit et ne vous êtes vous pas rendu en la compagnie de deux autres individus, ne vous êtes vous pas rendu au village de Castel Coudiec et n'y avez vous pas commis au préjudice de Jean GUIGOURES de ce village, un vol d'argent ? »
Réponse : « je ne suis pas sorti de la maison de toute la nuit, cependant vers 4 heures je me suis levé pour faire uriner un de mes enfants. »
Question : « cependant la fille LE NAOUR servante chez les époux GUIGOURES avec laquelle vous avez été confronté dans la journée d'hier a déclaré être à peu près certaine de vous avoir vu avec un autre individu vers minuit dans la maison de ses maîtres, que tous deux vous aviez la figure noircie, la tête enveloppée de mouchoir ou serviette et ayant chacun une chemise par dessus vos vêtements, que vous le plus grand des deux, vous étiez armé d'un fusil et d'un pistolet, que vous avez menacé GUIGOURES de mort s'il jetait des cris, que vous avez empêché GUIGOURES de sortir de la maison, que vous l'avez maltraité de coups de pieds et de poings, que de complicité avec votre camarade, vous avez enlevé à l'aide d'effraction une somme d'environ 2 000 francs placés dans une petite armoire pratiquée dans la table à manger. »
Réponse : « la servante des époux GUIGOURES se trompe étrangement car je ne suis pas sorti de chez moi dans la nuit du 17 au 18 janvier courant et ne suis ni auteur, ni complice du vol commis au préjudice des époux GUIGOURES. »
Question : « avez vous des chemises à collet étroit tels que les portent les habitants de la campagne ? »
Réponse : « non toutes mes chemises sont à très grands collets comme celle que je porte actuellement. »
Question : « avez vous été repris de justice ? »
Réponse : « oui j'ai été condamné dans le courant de l'année 1852 par le tribunal de Quimperlé à un mois d'emprisonnement pour délit de diffamation »
A 6 heures 15 du soir, c'est l'audition en français de Jean MARREC, 42 ans, célibataire sans enfant, menuisier et tonnelier, demeurant à Ty Nevez Bourbelenn. « J'ai été condamné à 5 ans de réclusion pour fabrication de fausse monnaie et je suis libéré depuis 1851. J'ai passé la nuit du 17 au 18 janvier au village de Kerampunch en Mellac. Je suis rentré chez moi vers 7 heures du soir après souper et me suis couché vers 9 heures. Je me suis levé le lendemain vers 6 heures sans être sorti de chez moi de toute la nuit. J'habite chez ma sœur qui peut attester de ma présence ainsi qu'Annette LE DOEUFF qui demeure également à la maison. Je suis pauvre mais honnête et ne suis pas allé voler chez Jean GUIGOURES. »
Puis à 7 heures du soir, audition en breton de Jean Marie JAMBOU, 27 ans, célibataire sans enfant, aide cultivateur au village de Kernabat en Bannalec. Aux questions du Juge d'instruction, il répond avoir passé la nuit du 17 au 18 janvier 1854 chez le nommé Jacques TOULGOAT son maître, dans un lit se trouvant en bas dans la maison. Il déclare avoir été condamné en 1852 à 15 jours de prison pour coups et blessures.
Ensuite l'audition en breton de Louis PENQUERCH, 34 ans, marié, 2 enfants, jamais condamné, journalier demeurant à Locmarzin. Déclare qu'il a passé la nuit du 17 au 18 janvier 1854 chez lui, se couchant vers 8 heures du soir et se levant le lendemain matin vers les 7 heures. Au lever du soleil il est allé couper de la litière
Et pour finir vient l'audition en breton de Isidore GUIFFANT, 39 ans, marié, 1 enfant, jamais condamné, aide cultivateur chez Joseph BAFFET au bourg. Déclare avoir travaillé pour son maître toute la journée du mardi jusqu'à 5 heures du soir. Il est rentré pour piler la lande et vers 6 heures et demie il a soupé. Vers 8 heures et demie, il est monté se coucher dans le grenier où se trouve son lit. Il s'est levé vers 6 heures sans être redescendu de la nuit.
Le 20 janvier à 8 heures du soir, c'est également par le Juge d'instruction ABYVEN le premier interrogatoire en français d' Auguste Pierre Baptiste Prosper BAFFET, 51 ans, cultivateur et ancien aubergiste au bourg de Bannalec, marié, 4 enfants :
« Je ne me rappelle pas trop ce que j'ai fait le mardi 17 janvier mais j'ai du charroyer des pierres ou ratissé des feuillages dans mes champs. Je suis rentré chez moi vers les 5 heures du soir comme d'habitude.Mon domestique Jean THAERON âgé de 13 ans travaillait avec moi ce jour là. Je ne suis pas sorti de chez moi ce soir là mais les nommés Jean Marie BERTHELOT maçon, Yves MONCHICOURT chapelier et François NICOLAS bedeau sont arrivés chez moi vers les 6 heures et sont repartis vers 8 heures. Étant indisposé je me suis couché avant 8 heures et avant leur départ. Je n'ai pas quitter mon lit de toute la nuit et me suis réveiller qu'à 4 heures. »
Question : « ne vous êtes vous pas levé quelques heures après vous être couché et ne vous êtes vous pas allé joindre le nommé LOUARN carrier en ce bourg et au moins un autre individu dont le nom n'est pas connu jusqu'à présent ? »
Réponse : « je n'ai pas quitté mon lit toute la nuit et ne me suis réveillé qu'à 4 heures du matin »
Question : « quel vêtement portiez vous le dit jour 17 janvier et le lendemain 18 ? »
Réponse : « j'avais un pantalon de draps gris passé sale, un gilet de velours vieux et passé et la veste brune que j'ai aujourd'hui sur moi. Le lendemain comme j'étais de noces je portais le pantalon, le gilet dont je suis aujourd'hui vêtu et une veste plus propre que celle que je porte actuellement. »
Question : « quelles chaussures aviez vous ? »
Réponse : « des sabots à bride dont je suis présentement chaussé. »
Question : « avez vous des sabots couverts de cuir à la mode de la ville ou de gros souliers ? »
Réponse : « non, j'ai quelques vieilles paires de sabots hors d'usage. »
Question : « dans la nuit du 17 au 18 janvier, n 'êtes vous pas allé en la compagnie d'Yves LE LOUARN et d'un homme vêtu à la mode de la campagne au village de Castel Coudiec et après que LOUARN et vous vous vous êtes noirci la figure, entouré la tête de serviette ou de mouchoir et mis une chemise par dessus vos vêtements, n'avez vous pas pénétré dans le domicile de Jean GUIGOURES, cultivateur au dit village , n'avez vous pas ensuite allumé dans la cour une chandelle de résine, placé l'un de vos camarades près la porte d'entrée pour faire le guet et n'avez vous pas ensuite, à l'aide d'un levier, jeté la porte d'entrée dans l'intérieur de la maison ? »
Réponse : « non car comme je vous l'ai déjà dit, je n'ai pas quitté le domicile cette nuit là. »
Question : « n'est ce pas vous qui portiez la lumière en entrant dans la maison et Yves LE LOUARN n'était-il pas armé d'un fusil et d'un pistolet ? »
Réponse : « je ne saurais vous dire puisque je ne suis pas sorti de chez moi. »
Question : « lorsque vous êtes arrivé près du foyer, n'avez vous pas demandé d'une voix menaçante où sont les personnes de la maison ? GUIGOURES et femme vous ayant répondu nous voici que voulez vous, n'avez vous pas répondu : il me faut de l'argent, nous avons des enfants à nourrir et vous n'en avez pas. »
Réponse : « oui je n'ai toujours que la même réponse à vous faire, je n'ai pas quitté mon domicile ce soir là. »
Question : « n 'avez vous pas demandé ensuite à GUGOURES de vous dire où était son argent et comme il vous priait seulement de prendre du pain et des crêpes si vous en vouliez, n'avez vous pas saisi la femme d'abord et le mari ensuite, ou les avez vous pas entraînes hors du lit et jetés sur l'aire de la maison et maltraitez ensuite à coups de pieds et coups de poing, n'avez vous pas ensuite serré le cou du vieillard GUIGOURES en le menaçant de mort ou d'incendie s'il ne voulait pas vous faire connaître où était son argent ? »
Réponse : (nie l'interrogatoire)
Question : « ne vous êtes vous pas mis ensuite à fouiller les armoires et coffres pour chercher de l'argent, n'en avez vous pas retiré les hardes et le longe et brisé la vaisselle en terre qui se trouvait dans l'un des coffres ? »
Réponse : « tout cela n'est pas vrai. »
Question : « n'est ce pas encore vous qui avez ouvert avec effraction la petite armoire ou tiroir pratiqué dans la table à manger, n'en avez vous pas détaché la serrure et pris une somme d'environ deux milles francs qui renfermé dans des bourses et des sacs, n'avez vous pas passé plusieurs de ces sacs à votre camarade armé qui était dans la maison, n'avez vous pas après ramassé le surplus dans une coëffe de coton appartenant à la servante et qui sur un coffre au près de son lit, n'avez vous pas après dit à l'un de vos complices, sortons emportant le butin que vous veniez de faire ? »
Réponse : « négativement »
Question : « vous avez été confronté avec la famille GUIGOURES, si le mari et la femme ne vous ont pas précisément reconnu, la jeune servante couchée dans un lit et que vous n'avez pas peut être aperçu ou remarqué mieux que ses maîtres ce qui venait de se passer , a formellement déclaré que l'homme qui est entré dans la maison avec une chandelle à la main était un homme de votre taille, de votre corpulence, qu'il avait des favoris comme vous en portez, que la chemise qui couvrait vos vêtements, la cravate et la serviette était semblables à la chemise, à la serviette et à la cravate trouvées en votre domicile dans la journée du 18 janvier. »
Réponse : « je reconnais et me rappelle bien tout ce que les époux GUIGOURES et leur servante ont dit pendant la confrontation avec eux, mais j'observe que la chemise, le mouchoir et la serviette trouvés dans mon grenier n'ont pas servi aux malfaiteurs qui ont volé GUIGOURES car si les malfaiteurs avaient la figure noircie, la serviette qui entourait leur tête, la cravate et la chemise auraient nécessairement conservé quelques taches noires, ce qui n'existe pas sur les effets saisis chez moi. »
Question : « vous êtes dans la malaisance et menacé d'une prochaine saisie, n'auriez vous pas voulu en commettant ce vol, rétablir vos affaires »
Réponse : « à la vérité je suis très mal à l'aise, un commandement m'a été fait pour payer une somme de 600 francs que je dois et je m'attends de jour en jour qu'on établisse une saisie sur mes meubles mais quoique dans la misère je ne suis pas capable de commettre un vol. »
Question : « depuis quand vous êtes vous rasé ? »
Réponse : « depuis mercredi dernier pour aller à une noce »
Question : « depuis combien de temps nos vous étiez vous pas rasé avant mercredi dernier ? »
Réponse : « depuis le dimanche 8 janvier »
Question : « je vous observe que Jean GUIGOURES a déclaré que l'homme qui l'avait arraché du lit et maltraité portait une barbe qui datait depuis quelques jours et que cette barbe était grisonnante. Aussi cette déclaration aurait quelques rapports avec ce que vous venez de dire vous même. »
Réponse : « cela se pourrait être, je ne suis pas le seul à avoir la barbe grisonnante ce qui ne m'empêche pas de protester de mon innocence car je n'ai pas commis le crime qu'on me reproche. »
Question : « depuis quand aviez vous changé la chemise que ces messieurs ont trouvé chez vous ? »
Réponse : « depuis le dimanche 15, je veux dire dimanche dernier. »
Question : « d'où vient il que la chemise, serviette ou mouchoir qui étaient sur une corde dans votre grenier se trouveraient humides tandis que les autres hardes ne se trouvaient pas. »
Réponse : « j'ai l'habitude quand je change de chemise et quand je me suis lavé ensuite de m'essuyer avec cette chemise, la serviette et le mouchoir ont pu servir au même usage pour les enfants »
Question : « d'où proviennent les taches de sang qui existent sur le bas de la chemise et sur la serviette ? »
Réponse : « ma chemise a été tâchée parce que ma femme avait ses menstrues dans la semaine, avant que je n'ai changé cette chemise, un de mes enfants s'étant coupé le doigt un peu, je lui essuya avec cette serviette. »
Question : « étiez vous lié avec Yves LOUARN et le fréquentiez vous souvent ? »
Réponse : « je connais bien LE LOUARN, je lui parle souvent dans la rue mais il n'existe pas entre nous d'intimité »
Question : « avez vous repris de chemise ? » (cette question incompréhensible a sans doute été mal transcrite par le greffier. Il faut probablement lire : êtes vous repris de justice ?)
Réponse : « jamais. »
21 janvier 1854
Le 21 janvier Auguste BAFFET et Yves LE LOUARN sont incarcérés à la maison d'arrêt de Quimperlé. Le même jour, le Juge ABYVEN demande au Docteur BEAUGENDRE de les examiner pour savoir si leurs visages n'ont pas conservé des traces de suie ou d'un enduit récemment appliqué. Il examine Yves LE LOUARN en premier et au milieu de son front une raie noire de plus d'un centimètre de longueur, descendant un peu obliquement de droit à gauche et dont l'extrémité inférieure est plus marquée, formée par plusieurs petits points d'une couleur noire foncée et un peu brillante et semblable, vue à la loupe à des fragments de charbon ou de suie. Des deux côtés de cette raie, la peau du front a une couleur noirâtre qui a disparu, ainsi que la raie, en essuyant peu fortement avec un linge et a laissé sur le linge des tâches noires, dans lesquelles on voit même à l’œil nu, des corps noirs semblables à ceux que le Docteur a remarqué sur la raie mais plus petites. Ayant essuyé la partie de la figure recouverte de la barbe, le linge utilisé a été sali de plaques noires dans lesquelles se trouvent un grand nombre de petits corps semblables à ceux que LE LOUARN avait sur le front.
Puis c'est au tour d'Auguste BAFFET de passer à l'examen minutieux. Le médecin légiste reconnaît que la barbe a été récemment rasée et la figure lavée avec soin. Toutefois, derrière l'oreille gauche, le Docteur trouve deux plaques noires très apparentes. De plus d'un centimètre de longueur, l'une des plaques est située dans la cavité du pavillon de l'oreille et l'autre dans le sillon formé pour la réunion de l'oreille aux téguments du crâne. Ces plaques essuyées sans frotter fortement sont enlevées en laissant sur le linge une tâche semblable pour la couleur à celles obtenues en essuyant le front et la barbe de LE LOUARN.
Le Docteur BEAUGENDRE conclut que les tâches découvertes sur LE LOUARN et BAFFET ne peuvent provenir que d'un enduit de suie ou de poudre de charbon appliqué sur la figure, que cet enduit ait été fait au moyen de l'incorporation de l'une ou l'autre de ces substances à un corps gras ou qu'elles aient été détrempées avec de l'eau.
23 janvier 1854
Le 23 janvier vers 3 heures et demie du soir se déroule à Quimperlé le deuxième interrogatoire d'Auguste BAFFET : répondant en français, il dit se nommer Auguste Pierre Baptiste Prosper BAFFET, 51 ans, ancien aubergiste demeurant au bourg de Bannalec, marié avec des enfants, sait lire et écrire.
Question : « vous avez été visité samedi dernier dans l'après midi par le Docteur BEAUGENDRE médecin en cette ville ? »
Réponse : « cela est vrai »
Question : « il résulte du rapport de cet homme de l'art qu'il a trouvé derrière votre oreille gauche deux plaques noires très apparentes de plus de deux centimètres de longueur l'une placée dans la cavité du pavillon de l'oreille et l'autre dans le sillon formé par la réunion de l'oreille aux téguments du crane ? »
Réponse : « je ne nie pas que M. BEAUGENDRE ait pu trouver les traces dont vous parlez, si cela est, cela ne peut provenir que de la crasse de notre boite à bois pourrie dont nous nous servons pour allumer la pipe ou peut être en mouchant ou éteignant la chandelle qui laisse d'ordinaire de la crasse aux doigts, il est probable que je me serais gratté derrière l'oreille et que j'aurais laissé des traces produites soit par le bois pourri soit par la mèche de la chandelle. »
Question : « il résulte encore du même rapport que les traces que le médecin a trouvées derrière votre oreille gauche ne peuvent provenir que d'un enduit de suie ou de poud
re de charbon ? »
Réponse : « je puis certifier sur l'honneur que les traces qu'on a découvert ne peuvent provenir ni de suie, ni de poussière à charbon »
Question : « je vous observe que plusieurs traces ont été découvertes sur votre co inculpé Yves LE LOUARN, ce qui porterait à croire que vous vous êtes noirci le visage l'un et l'autre avant d'aller commettre le vol chez GUIGOURES puisqu'il est constaté par trois témoins que les deux malfaiteurs qui ont envahi le domicile des époux GUIGOURES avaient la figure toute noire ? »
Réponse : « je répète ce que j'ai déjà dit plusieurs fois que je ne suis ni auteur ni complice du vol de Jean GUIGOURES puisque je ne suis pas sorti de la maison dans la nuit du 17 au 18 janvier. Pour prouver ce que j'avance, j'invoque le témoignage de Marie BOUTEL et de sa fille et de Jean THAERON mon petit domestique. »
Question : « vous nous avez dit que vous aviez passé la journée du mardi 17 du courant soit à charroyer des pierres, soit à ratisser des feuillages. Ne vous êtes vous pas arrêté à boire avec quelqu'un dans les cabarets du bourg ou dans les auberges ? »
Réponse : « je n'ai bu dans aucun cabaret dans l'après midi du dit jour, pas plus que le matin. »
Puis vient à 4 heures du soir le deuxième interrogatoire d'Yves LE LOUARN : répondant en français, il dit se nommer Yves LOUARN, journalier demeurant au bourg de Bannalec, marié avec des enfants, sait signer.
Question : « vous avez été ? le 21 de ce mois par le Docteur BEAUGENDRE »
Réponse : « oui, il est venu à la maison d'arrêt vers les 3 et 4 heures et a visité BAFFET et moi. »
Question : « il résulte de l'examen de ce Docteur médecin qu'il a remarqué au milieu de votre front une haie noire, que cette haie vue à la loupe brillait comme des fragments de charbon ou de suie, des deux côtés de cette haie, on a trouvé des taches noires faites également avec un enduit de charbon ou de suie, on a aussi après avoir essuyé votre figure couverte de barbe, que le linge qui avait servi à vous essuyer a été salie de plaques noires ? »
Réponse : « il est possible et même probable que M. BEAUGENDRE a découvert et sur mon front et sur ma barbe des taches noires car quelques jours avant mon arrestation, j'avais moi même ramoné ma cheminée avec une branche de houx, il m'a tombé de la suie sur le visage et comme je suis un pauvre journalier qui ne se décrasse pas souvent, la suie a laissé sur ma figure des taches noires qui y ont été remarquées. »
Question : « persistez vous à maintenir que vous n'êtes pas allé avec BAFFET, un autre malfaiteur malgré la reconnaissance formelle de la jeune domestique des époux GUIGOURES qui a dit que le malfaiteur qui avait volé ses maitres dans la nuit du 17 au 18 de ce mois, avait une voix semblable à la votre ? »
Réponse : « oui je persiste parce que cette petite jeune fille s'est trompée. »
Tels sont ses interrogations et réponses desquels lecture lui faite, il a déclaré contenir vérité et y persister, requi de signer, il a déclaré le savoir de ce interpellé il a signé avec nous et le commis greffier » .
24 janvier 1854
Le 24 janvier, les gendarmes MIGNON Jean Louis et GREGOIRE Charles Louis sont de service pour le transfèrement des prisonniers venant de Quimperlé pour aller à la maison centrale de Quimper. Alors qu'ils sont dans la cour de la caserne, ils aperçoivent près de la croisée de la chambre de sûreté la nommée Hélène LOUARNE âgée de 32 ans crêpière au bourg de Bannalec. Les deux gendarmes s'approchent d'elle pour savoir ce qu'elle désire aux prisonniers. Ils entendent alors le nommé LE ROUX René condamné à treize mois de prison pour vol, dire à la nommée Hélène LOUARNE que son frère Yves LOUARNE actuellement détenu à la maison d'arrêt de Quimperlé l'a prié de vouloir bien dire au dit MORVAN Claude âgé de 60 ans cordonnier au bourg de Bannalec de dire qu'il avait vu le nommé Yves LOUARNE ramoner sa cheminée de sa maison deux jours avant que le vol avait été commis au village de Castel Coudiec. Les gendarmes se rendent immédiatement au domicile du dit MORVAN Claude qui nie avoir vu LE LOUARN ramoner sa cheminée. MORVAN déclare également que la femme LE LOUARN était venue chez lui hier vers 7 heures du soir pour mettre au point ce témoignage mais il lui avait répondu ne pas vouloir se compromettre pour lui faire plaisir.
Ce même 24 janvier, le Juge d'instruction ABYVEN adresse à François LE MOAL Juge de paix de Bannalec une commission rogatoire pour procéder à l'audition de témoins. Le 28 janvier, Le Juge de paix assisté de son greffier Julien Jérôme LE GRAND notre greffier, commence les auditions séparées :
1°) BOUTEL Marie Anne : répondant en breton, elle déclare se nommer Marie Anne BOUTEL veuve PASCOU, âgée de 58 ans, journalière demeurant au bourg de Bannalec : « J'habite avec ma fille une petite maisonnette que j'ai prise à loyer de l'inculpé BAFFET et qui est séparée de sa maison d'habitation par une cour d'une largeur de douze à treize pas ordinaires. Une des portes de sa maison donne sur cette cour et une autre sur l'aire à battre qui est séparée de cette cour de la même maison d'habitation du dit BAFFET. La porte de cette maison qui donne sur ma porte fait plus de bruit lorsqu'on l'ouvre que celle qui donne sur l'aire, de sorte que l'on peut ouvrir et fermer cette dernière porte sans que nous puissions de notre maison entendre le bruit qu'elle ferait si on l'ouvrait ou la refermait. Le mardi 17 je me trouvais dans ma cour lorsque vers 6 heures et demie, BAFFET, son domestique Jean THAERON et son journalier Michel BOULBEN arrivèrent avec les chevaux du dit BAFFET après avoir leur journée. Lorsque sur l'observation que je lui fis que ses chevaux étaient bien trempés de sueur, le dit BAFFET me répondit que quoiqu'étant malade, il lui fallait bien travailler, ses chevaux n'étaient pas plus à plaindre que lui. À partir de ce moment, BAFFET étant rentré chez lui, je ne le vis ni ne l'entendit plus pendant cette nuit que le lendemain matin. Un instant après que cinq heures avaient sonné, lorsqu'il vint réveiller le petit THAERON, son domestique qui était venu coucher chez moi comme à son ordinaire vers les neuf heures du soir. J'ajouterai que pendant la nuit du 17 au 18 de ce mois, je n'ai pas entendu ni vu le dit BAFFET autrement que comme je viens de le dire. Je n'ai pas non plus pendant cette même nuit entendu les portes de sa maison ouvrir ou fermer. »
2°) PASCOU Marie Anne : répondant en breton, elle déclare se nommer Marie Anne PASCOU âgée de 27 ans, journalière demeurant au bourg de Bannalec : « j'habite avec ma mère une maison située sur la cour de la maison habitée par BAFFET. Dans cette maison couchent avec nous Marie LE ROY dite Roué, Jean TAERON les deux domestiques chez le dit BAFFET. Je me trouvais avec ma mère dans notre cour lorsque le mardi 17 BAFFET, son journalier BOULBEN et son garçon THAERON arrivèrent de leur travail vers les 6 heures et demie du soir. Après que ma mère avait échangé quelques paroles avec le dit BAFFET, j'entendis ce dernier dire qu'il était malade et qu'il allait se coucher. À partir de ce moment je ne vis ni n'entendis plus pendant toute cette nuit, ni BAFFET ni aucun de sa famille à l'exception de Marie LE ROY sa domestique lorsqu'elle vint se coucher vers les 8 heures du soir et THAERON son garçon lorsqu'il arriva également vers les 9 heures du soir. La dite LE ROY nous dit même en arrivant que BAFFET était allé se coucher sans avoir souper et qu'il se disait être malade. Peu de temps après l'arrivée de cette fille, je suis allée me coucher, je me suis endormie vers les 9 heures et demie du soir et ne me suis éveillée pendant toute toute cette nuit que le lendemain matin à 5 heures lorsque BAFFET est venu éveiller son garçon, de sorte que depuis les 9 heures du soir jusqu'à 5 heures du matin, je n'ai pendant cette nuit du 17 au 18 entendu personne bouger autour de notre habitation. J'ai même entendu ma mère dire que quoi que n'ayant que très peu dormi pendant cette nuit, elle n'avait non plus entendu personne autour de l'habitation/ Je sais que lorsque BAFFET à son journalier, il vient ordinairement éveiller son domestique vers les 5 heures du matin et qu'il le laisse dormir jusqu'à 6 heures lorsqu'il n'a pas de journalier. Je sais également que l'on entend de notre maison d'habitation le bruit que font les portes de la maison BAFFET lorsqu'on les ouvre ou les referme et que je ne les avais pas entendues fermer ni ouvrir pendant toute cette nuit du 17 au 18. »
3°) LE THAERON Jean : dit se nommer Jean LE THAERON âgé de 12 ans, aide cultivateur demeurant au bourg de Bannalec chez l'inculpé BAFFET où il est domestique : « j'habite comme domestique depuis deux ou 3 ans chez Auguste BAFFET. Je couche ainsi que Marie LE ROY domestique chez le même BAFFET dans la maison donnant sur la cour et habitée par la veuve PASCOU et sa fille. C'est BAFFET mon maître qui lorsqu'il n'a pas d'ouvrier vient toujours nous éveiller pendant l'hiver vers les 6 heures et demie du matin. Il vient un peu plus tôt, c’est à dire vers les 6 heures, lorsqu'il a des journaliers. Le mardi 17 il vint cependant nous éveiller à 4 heures du matin parce qu'il avait ce jour à aller charroyer des pierres de la carrière du Voden en Scaër. Mais le lendemain il ne vint nous éveiller que comme d'habitude à 6 heures du matin. M'étant levé aussitôt je remarquais après être entré dans la maison d'habitation de mon maître qui n'avait à ce moment pour tous vêtements sur lui que sa chemise et son pantalon et qu'il était alors occupé à causer avec Jean Marie BERTHELOT Maître maçon à Bannalec. Pendant la nuit du 17 au 18 j'avais eu occasion de sortir à deux reprises différentes pour satisfaire mes besoins et je n'ai cependant entendu ni personne bouger, ni le bruit d'aucune des portes de la maison d'habitation de mon maître fermer ou ouvrir quoiqu'elle fasse toutes les deux assez de bruit lorsqu'on les ouvre ou les ferme. Le mardi 17 me trouvant depuis midi jusqu'au soir à charroyer avec mon maître, j'entendis dire qu'il était malade et je l'avais en effet remarqué s'appuyant contre sa voiture comme un homme très fatigué. En arrivant en effet à la maison, il me dit d'aller lui prendre une douzaine de sardines pour souper ne voulant pas prendre de la soupe. Mais je ne sais pas combien il en avait mangé étant sorti de la maison avant qu'elle lui fussent servies. »
4°) PERRET Hyacinthe : Répondant en français et disant se nommer Hyacinthe PERRET âgé de 32 ans, maréchal ferrant demeurant au bourg de Bannalec, il dépose : « le mardi 17 de ce mois je ne me rappelle nullement avoir vu LE LOUARN pendant toute cette journée ni l'avoir même entendu chez lui le soir en revenant de son travail comme il m'arrive que fois lorsque je me trouve chez moi au moment de son arrivée car ma maison située au rez de chaussée comme son habitation n'est séparée d'elle que par deux cloisons en bois et un corridor. Aussi il nous arrive très souvent de les entendre marcher et causer dans leur maison bien que les portes pratiquées dans les deux cloisons qui nous séparent soient fermées. J'ai couché comme d'habitude chez moi pendant la nuit du 17 au 18 et je ne me souviens pas avoir entendu pendant toute cette nuit aucune personne de chez LE LOUARN, ni bouger, ni tousser. Il était cependant chez lui lorsque à 7 heures du soir, ma femme en l'occasion d''y aller. Je n'ai eu que très peu de relation avec LE LOUARN et il n'est pas à ma connaissance que depuis la Saint Michel que nous sommes voisins. Il ait en beaucoup plus de relation avec d'autres personnes. Lorsque LE LOUARN sort de sa maison ou y entre par celle de ces deux portes qui donnent sur la route de Pont Aven par laquelle on entre dans le corridor et qui nous sépare, nous l'entendons toujours parce qu'il serait bien difficile de l'ouvrir ou de la fermer avec le bruit qu'elle fait en ce moment pour que nous n'entendions pas ce bruit. Mais je crois que l'on pourrait plus facilement sortir par la porte de la maison qui donne sur l'aire sans être entendu. L'ouvrir et la fermer de notre habitation parce qu'elle est plus éloignée que l'autre porte de notre lit à coucher et qu'on fait aussi par ailleurs moins de bruit en ouvrant et en fermant que celle donnant sur la ? . J'ai vu le lundi je crois deux de ce mois ou au plus tard le lundi suivant vers les 10 heures du matin, LE LOUARN se disposait d'abord à aller ramoner sa cheminée et revenir quelques temps après et rester dans un coin de l'aire la suie qu'il en avait retirée. Je ne le voyais pas pendant toute cette opération de sorte que je ne puis savoir si pendant le temps qu'il s'en occupait il avait son chapeau sur la tête. Je sais seulement qu'il ne l'avait pas au moment où je le vis d'abord se disposait à faire ce travail sans pouvoir affirmer si lorsqu'il fut dans l'aire jeter sa suie il était encore nu tête ou muni de son chapeau. »
5°) MORVAN Claude : Répondant en français, dit se nommer Claude MORVAN, âgé de 60 ans, cordonnier demeurant au bourg de Bannalec. Il dépose : « j'habite une chambre au dessus du rez de chaussée où demeure l'inculpé LE LOUARN, de manière que pour peu qu'il parle un peu haut je l'entend très bien. Je ne me rappel pas cependant l’avoir entendu dans la nuit du 17 au 18 faire aucun bruit dans sa maison. Il est vrai que je me suis couché entre 6 et 7 heures du soir et que j'ai dormi cette nuit jusqu'au lendemain 4 ou 5 heures du matin. Il m'arrive cependant quelque fois, lorsque je me réveille pendant la nuit d'entendre les époux LE LOUARN sortir au milieu de la nuit pour mettre leurs jeunes enfants dehors. Il est aussi à ma connaissance que LE LOUARN avait ramoné sa cheminée il y a environ 3 semaines. C'est tout ce que j'ai à dire, n'ayant pas entendu LE LOUARN sortir ni entrer de sa maison pendant la nuit du 17 au 18 de ce mois et n'ayant même pas vu l'heure à laquelle il était rentré de son travail ce soir là. Le témoin interpellé de nous déclarer si mardi dernier 24 à 7 heures du soir, la femme de l'inculpé LE LOUARN ne s'était pas rendue chez lui pour le prier s'il était appelé comme témoin, de dire à la justice, avoir vu LE LOUARN deux ou trois jours avant son arrestation ramoner sa cheminée. Répond après avoir beaucoup hésité que la femme LE LOUARN avait en effet été chez lui ce soir là mais qu'il lui avait recommandé seulement, s'il était appelé comme témoin, d'aider un peu son mari s'il était possible. Sur cette réponse évasive, interpellant de nouveau le témoin, de nous déclarer si le soir de la même journée du 24 de ce mois, il n'aurait pas déclaré aux gendarmes GREGOIRE et MIGNON que la femme LE LOUARN aurait dit au dit témoin de déclarer en justice avoir vu LE LOUARN son mari, ramoner sa cheminée deux ou trois jours avant son arrestation ? Finit par répondre après plusieurs interpellation à lui faites. Dans le même ?, n'avoir pu faire d'autres déclarations aux gendarmes sur ce fait que celles qu'il vient de nous faire. »
6°) LE HEURT Anne : Tous les témoins assignés par l'exploit de LE PUSTOCH huissier en date du 26, ayant été entendus à l'exception d'Anne LE HEURT, malade depuis longtemps et dans l'impossibilité par suite, d'obéir à la citation qui lui a été donnée, Le Juge de paix et son greffier se transportent jusqu'à la grange habitée par le dit témoin, située sur l'aire de l'inculpé BAFFET et séparée de sa maison d'habitation par un pignon seulement. Arrivés vers les 4 heures du soir, ils trouvent le témoin malade au lit qui déclare se nommer Anne LE HEURTE, âgée de 45 ans, mendiante, demeurant au bourg de Bannalec. Répondant en breton, elle déclare : « je sais bien que BAFFET n'a jamais pensé à commettre le vol qu'on lui impute, qu'il n'aurait pas pu le faire dans tous les cas puisque je suis sur que le 17 de ce mois depuis 6 heures du soir jusqu'à 5 heures le lendemain matin, quoique n'ayant pas du tout dormi, je n'ai entendu aucun bruit dans l'aire que depuis 9 heures du soir, moment auquel on avait fermé les portes de sa maison d'habitation jusqu'à 5 heures le lendemain matin, je n'ai entendu non plus aucune de ces portes fermer ou ouvrir, je les entends cependant si bien que chaque fois qu'on les ouvre ou qu'on les ferme, le bruit qu'elle font en ce moment me parvient toujours à l'oreille ; qu'il m'était encore parvenu hier au soir et comme la nuit du vol et tous les autres soirs qu'on ne puit pas en un mot les fermer ou les ouvrir sans que j'entende le bruit qu'elles font. J'ajouterai que depuis le 29 septembre 1852, je suis locataire de BAFFET et je n'ai jamais payé pour mon loyer que les journées que je pouvais lui faire lorsque j'étais mieux portante. »
Le Juge de paix et son greffier se transportent ensuite dans la maison de l'inculpé BAFFET pour s'assurer des bruits que peuvent faire les portes en ouvrant et en fermant. Les ayant d'abord ouvertes, sans aucune espèce de précautions, les portes « crient » un peu en roulant sur leurs gonds. Renouvelant la même opération à trois reprises différentes mais en les soulevant avec précaution, ils remarquent que le bruit qu'elles font alors en roulant sur leurs gonds, devient presque insaisissable pour une personne éloignée d'elles seulement d'une dizaine de pas. Ils constatent également que la cour qui sépare la maison de BAFFET et celle du témoin Marie Anne BOUTEL avait une largeur de 9,80 mètres, ils retournent voir le témoin LE HEURTE pour savoir si, durant notre absence, elle a entendu le bruit des portes de la maison BAFFET, Anne LE HEURT répond par la négative.
7°) LE COTONNEC Jules : Répond en breton se nommer Jules LE COTONNEC âgé de 26 ans, époux de Marie Anne NERZIC, journalier demeurant au bourg de Bannalec. Il dépose : « le mardi 18, LE LOUARN et moi allâmes à la carrière de Roshuel où nous avions des pierres à faire pour Jean Marie BERTHELOT. Nous quittâmes le bourg ce jour vers les 6 heures du matin. Nous continuâmes à marcher ensemble sur la grande route jusqu'à un sentier qui après avoir quitté cette route passe entre les villages de Stang Huel et Kermérour. À cet endroit, après m'avoir demandé si je ne voulais pas aller par là, il y alla me laissant aller seul par la route en me disant que ce sentier menait plus directement à cette carrière, où je m'y trouvais déjà depuis une heure avant l'arrivée de LE LOUARN. Je lui fis observer que le chemin qu'il venait de faire n'était pas plus court que le mien puisqu'il avait mis autant de temps pour arriver à son travail. À cela il me répondit qu'il avait été à l'atelier de Pierre Louis PLANT sabotier où il était resté fumer une pipe. Après être resté pendant la journée comme la veille lundi dans cette carrière où nous étions seuls à travailler, nous revenions à la maison vers les 5 heures et demie du soir lorsque arrivés sur la route impériale, non loin de la maison de Jean PROVOST forgeron après avoir un peu parlé de la cherreté du grain et du peu d'argent que nous donne cette saison on pouvait gagner du produit de son travail LE LOUARN le dit : viens avec moi ce soir et nous irons trois ou quatre quelque part où il y aura beaucoup de blé ou beaucoup d'argent. Lui ayant répondu que je ne voulais pas l'accompagner dans des circonstances pareilles il n'insista pas pour le moment à s'engager davantage à l'accompagner pour l'exécution de ses projets. Mais arrivés un peu plus avancé sur la route, alors que nous étions entre la maison dudit PROVOST et celle de LE FUR, LE LOUARN me demanda encore si je ne voulais pas l'accompagner pour aller ce soir où il venait de me le dire. Lui ayant encore répondu négativement et lui avoir donné pour prétexte entre autres raisons que je ne pouvais pas quitter de la maison au milieu de la nuit, LE LOUARN me répondit : tu es trop capon, tu resterais mourir de faim avant de te secourir et ajouta que s'il n'y allait pas le soir même j'aurais été avant la fin de la semaine afin de pouvoir y aller avant d'être trop affaibli par la faim. J'ajouterai que pendant la semaine du 9 au 14 de ce mois j'avais encore travaillé seul avec LE LOUARN à l'exception d'une journée et demie que Louis LE COTONNEC veuf de Marie Louise LE GALL maçon à Bannalec avait fait avec nous à la carrière. »
8°) GREGOIRE Charles Louis : Répond en français et dit se nommer Charles Louis GREGOIRE, âgé de 29 ans, gendarme à Bannalec. Il dépose : « après avoir rapporté un procès verbal en date du 25 de ce mois de la confidence parvenue à notre connaissance au moment où le nommé René LE ROUX la faisait à Hélène LE LOUARN nous avons fait appeler Claude MORVAN père demeurant au bourg qui nous a déclaré ainsi que nous l'avons constaté dans notre dit procès verbal, entre autres choses y mentionnées, que la femme LE LOUARN s'étant trouvée chez lui le 24 de ce mois vers les 7 heures du soir, l'aurait prié de vouloir bien dire à la justice, s'il était appelé comme témoin, qu'il avait vu son mari nettoyer la cheminée 2 ou 3 jours avant son arrestation. Il ajouta même qu'il avait répondu à cette femme qu'il ne voulait pas se compromettre pour lui faire plaisir. »
9°) MIGNON Jean Louis : Répond se nommer Jean Louis MIGNON âgé de 34 ans, gendarme à Bannalec. Il dépose : « après avoir rapporté un procès verbal en date du 25 de ce mois de la confidence parvenue à notre connaissance au moment où le nommé René LE ROUX la faisait à Hélène LE LOUARN nous avons fait appeler Claude MORVAN père demeurant au bourg qui nous a déclaré, ainsi que nous l'avons constaté par notre dit procès verbal, outre autres choses y mentionnées, que la femme LE LOUARN s'était rendue chez lui le 24 de ce mois vers 7 heures du soir, l'aurait prié de vouloir bien dire à la justice s'il était appelé comme témoin, qu'il avait vu son mari nettoyer sa cheminée deux ou trois jours avant son arrestation. Il ajouta même qu'il aurait alors répondu à cette femme qu'il ne voulait pas se compromettre pour lui faire plaisir. Telle est sa déposition, de laquelle lecture lui faite, il a déclaré qu'elle contient vérité et y persister et à signer avec nous et le greffier. »
30 janvier 1854
Le 30 janvier, à 10h du matin, François LE MOAL, Juge de paix assisté de Julien Jérôme LE GRAND son greffier procède à l'audition séparée des témoins cités à comparaître par exploit de LE PUSTOCH huissier à Bannalec.
1°) PLANT Pierre Louis : répondant en français il dit se nommer Pierre Louis PLANT, âgé de 41 ans, sabotier, natif de Mellionnec, canton de Goazec, arrondissement de Loudéac (22), époux de Marguerite LE BRAS demeurant à Bannalec depuis 28 ans. Il dépose : « dans la journée du 17 de ce mois, je me trouvais dans mon atelier situé actuellement sur terre de Kergallic en Bannalec avec les nommés Guillaume LE MAL, Thérèse PERICHON sa femme et Yves LE BRETON mes ouvriers. Nous étions tous dans l'atelier même occupés à travailler lorsqu'au moment où je venais d'éteindre la lumière LE LOUARN y entra et resta tout au plus un quart d'heure pour fumer sa pipe. Pendant ce temps il nous dit entre autres choses que pour se rendre à la carrière où il allait travailler, il était venu par un chemin de traverse, laissant son camarade aller par la grande route. Que ce dernier n'étant pas encore rendu dans la carrière il avait cru devoir profiter de ce moment pour fumer une pipe. Mais cette pipe finie, il sortit de l''atelier en disant qu'il allait voir si son camarade était arrivé et je crois en effet que de notre atelier il alla directement à sa carrière, ne l'ayant pas vu entrer dans l'autre atelier séparé seulement du mien d'environ 50 pas et ayant même su par Yves NOGRET, Joseph DAVID et Jean NELIAS qui y travaillaient qu'il y avait pas été en effet mais je suis positivement certain qu'il n'y avait pas été pendant une demie heure dans mon atelier. »
2°) LE LOUARN Marie Hélène : répondant en breton, dit se nommer Marie Hélène LE LOUARN âgée de 33 ans, crépière demeurant au bourg de Bannalec, sœur de l'inculpé LE LOUARN. Elle dépose : « mardi dernier 24 de ce mois vers les 11 heures du matin, le nommé Michel BOULBEN journalier à Bannalec est venu chez moi pendant mon absence dire à Marie GOAPPER ma mère et mes petites filles qui s'y trouvaient de me recommander d'aller parler à René LE ROUX qui passant avec les prisonniers à Bannalec, se trouvait en ce moment dans la chambre de sûreté de la caserne. M'étant rendue à la maison peu de temps après que BOULBEN avait été chez moi, ma mère et mes enfants m'ayant répété ce que BOULBEN venait de leur dire je me rendis à l'instant après du dit LE ROUX qui me dit en effet, moi étant dans la cour de la gendarmerie et lui dans la dite chambre de sûreté avec plusieurs autres que mon frère Yves, actuellement détenu dans la prison de Quimperlé, lui avait dit de me dire d'aller trouver sa femme pour lui recommander d'aller trouver Claude MORVAN et Hyacinthe PERRET pour leur dire de venir déposer qu'ils avaient vu l'inculpé LE LOUARN nettoyer sa cheminée. Elle précise que dans la recommandation qui lui avait été faite de la part de son frère par LE ROUX pour faire appeler MORVAN et PERRET pour déposer qu'ils avaient vu LE LOUARN ramoner sa cheminée, il n'était nullement question de deux ou trois jours et que cette recommandation en ce qui concerne les deux ou trois jours avant son arrestation ne lui ayant pas été faite par LE ROUX, le témoin ne l'a pas répété à sa belle sœur. »
2 février 1854
Le 2 février 1854, Le Brigadier Charles GARESSUS et les gendarmes Jean Louis MIGNON et Charles GREGOIRE rédigent un nouveau procès verbal constatant de nouveaux renseignements recueillis près du nommé Jules COTENNEC, âgé de 26 ans journalier au bourg de Bannalec contre le nommé LE LOUARN Yves. La veille, ils ont appris par le nommé COTENNEC Jules âgé de 26 ans journalier à Bannalec, que le 17 janvier 1854 vers vers les 6 heures du matin il allait travailler à la carrière avec le nommé LOUARN Yves. Arrivé près du village de Tromelin, LOUARN lui dit s'il voulait aller avec lui par la route qui conduit au village de Stancguel que le chemin était plus direct pour se rendre à la dite carrière de Rosuel. COTENNEC répondit qu'il suivrait sa route habituelle vu qu'elle était plus courte. Effectivement, COTENNEC arriva une heure avant le dit LOUARN qui lui répondit être resté dans l'atelier des sabotiers à fumer sa pipe. « Ce qui m'étonna c'est que d 'habitude le dit LOUARN faisait toujours chemin avec moi ». La journée se passa à travailler comme à l'ordinaire sans aucun propos. Le soir vers les 5 heures et demie revenant à la maison et rendus dans un champs près du village de Rosuel, LE LOUARN dit à COTENNEC : « le pain est bien cher cette année nous aurons de la peine à vivre si ça continue. si tu veux venir ce soir nous allons trois ou quatre voler où il y aura beaucoup de grain ou d'argent » mais sans désigner l'endroit ni les individus. COTENNEC lui répondit qu'il faudrait avoir bien faim pour aller voler, que jusqu'à présent il avait été honnête homme et qu'il ne voulait pas se déshonorer de la sorte. Alors LOUARN dit : « non car tu es trop poltron. Tu resterais plutôt mourir de misère que de t'hasarder à commettre un vol ». Puis la conversation s'arrête et chacun rentre chez lui sans s'adresser la parole.
Pour faire suite à cette déclaration, les gendarmes se rendent dans l'atelier du sieur Pierre Louis PLANT maître sabotier au village de Loge de Kergalic en Bannalec. Pierre Louis PLANT déclare qu'en effet le 17 du mois dernier vers 7 heures du matin le nommé LOUARN est rentré dans son atelier pour allumer sa pipe où il était resté environ un quart d'heure causer avec lui et ses ouvriers de choses indifférentes. Aucun des ouvriers présents ne s'est entretenu en particulier avec LOUARN.
4 février 1854
A 8 heures du matin commence le troisième interrogatoire d'Yves LE LOUARN : répondant en français, il dit se nommer Yves LOUARNE, 37 ans, journalier demeurant au bourg de Bannalec, marié avec des enfants, sait signer.
Question : « où avez vous passé la journée du 17 janvier dernier ? »
YL : « à la carrière de Roz huel »
Question : « que faisiez vous dans cette carrière ? »
YL : « je toisais la pierre »
Question : « travailliez vous seul ? »
YL : « je travaillais avec Jules COTONNEC, journalier du bourg de Bannalec »
Question : « n'êtes vous pas parti ensemble du bourg de Bannalec pour aller à Roz Huel ? »
YL : « oui »
Question : « vous êtes rendus tous deux directement à la carrière ? »
YL : « non je me suis détourné pour déposer ma soupe dans l'atelier de Pierre Louis, sabotier qui travaille à travers deux champs de la carrière où j'étais occupé. »
Question : « quel âge à ce Pierre Louis ? »
YL : « je ne sais pas au juste son âge, mais il a au moins 40 ans. »
Question : « ce maître sabotier emploie-t-il plusieurs ouvriers ? »
YL : « il a à son service 4 ou 5. »
Question : « quels costumes portent ces ouvriers ? »
YL : « Pierre Louis et deux de ses ouvriers sont vêtus comme moi, c'est à dire qu'ils portent veste et pantalon. »
Question : « êtes vous resté longtemps dans cet atelier et avec lequel de ces ouvriers avez vous la conversation ? »
YL : « je n'ai parlé qu'avec Pierre Louis, je ne suis resté dans sa cabane que le temps de fumer une pipe de tabac. »
Question : « le soir après votre journée n'êtes vous pas rentré au bourg avec votre compagnon Jules COTONNEC ? »
YL : « je ne me rappelle si COTONNEC est rentré avec moi au bourg ou s'il est resté parler avec un tailleur qui se nomme Thomas LE FUR qui demeure sur le bord de la route entre Roz Huel et le bourg. »
Question : « étant tous les deux arrivés sur la route impériale ne vous êtes vous pas plaint à cet ouvrier que le pain était très cher et qu'on ne pouvait pas vivre du produit de son travail ? »
YL : « c'est possible que notre conversation est tombée sur la misère du temps. »
Question : « n'avez vous pas ensuite dit au dit Jules COTONNEC : viens avec moi le soir et nous irons trois ou quatre quelque part où il y aura beaucoup de blé et beaucoup d'argent ? »
YL : « je n'ai pas parlé de ça ni à COTONNEC, ni à personne »
Question : « cet ouvrier ayant rejeté votre proposition vous n'insistez pas davantage mais avant de vous séparer ne lui demandez vous pas encore s'il ne voulait pas vous accompagner le soir là, sur sa réponse négative ne lui avez vous pas dit : tu es trop capon, tu resterai mourir de faim avant de te secourir puis n'ajoutates vous pas, que s'il n'y allait pas le soir même, il eut été avant la fin de la semaine et avant d'être trop affaibli par la faim ? »
YL : « LE COTONNEC n'a pas dit la vérité. Je n'ai jamais ? cette conversation avec et ne l'ai jamais invité à commettre un tel forfait. »
Question : « existait-il entre Jules LE COTONNEC et vous quelques sujets d'inimitié ? »
YL : « aucun, nous travaillons journellement ensemble et nous n’avons jamais eu de discussion. »
Question : « puisqu'il en est ainsi, COTONNEC n'a aucun sujet de vous en vouloir et la déclaration par lui faite …. devant M. le Juge de paix du canton de Bannalec, doit être sincère et vraie. Persistez vous à nier avoir engagé cet ouvrier d'aller voler avec vous et avec d'autres dans la nuit du 17 au 18 janvier dernier ? »
YL : « comme je n'ai pas engagé COTONNEC aller voler, je persiste à maitenir que le témoin n'a pas dit la vérité. »
Vers midi ce même 4 février, c'est l'interrogatoire de Guillaume GUERNALEC : répondant en français, il dit se nommer Guillaume GUERNALEC, 33 ans, couvreur en ardoises demeurant à Bannalec, marié avec un enfant, sait lire et écrire.
Question : « le dimanche 15 janvier dernier, ne vous êtes vous pas trouvé sur la place du bourg de Bannalec avec le nommé Yves LE LOUARN journalier au dit lieu et n'avez vous pas eu une assez longue conversation avec lui ? »
GG : « le fait est vrai »
Question : « à la suite de cette conversation, n'êtes vous pas allé tous deux chez Auguste BAFFET ? »
GG : « je n'ai jamais été chez Auguste BAFFET depuis qu'il habite la maison où il demeure actuellement. »
Question : « cependant un témoin vous a vu le dit jour 15 janvier, venir de chez BAFFET avec LE LOUARNE et même vous portiez chacun un sac vide caché sous vos vestes ? »
GG : « cela est faux »
Question : « dans la conversation que vous avez eu avec Yves LE LOUARN, de quoi vous entreteniez vous ? »
GG : « notre conversation roulait sur la cherté du grain. Henri COLAS qui prenait part à notre conversation nous dit : il faut espérer qu'il y aura bien une baisse sur les denrées car il vient du blé de l'étranger mais malheureusement il sera assez cher car il y aura du poison dedans. »
Question : « n'avez vous pas eu en la présence d'Henri COLAS de formé le projet, LE LOUARN et vous , d'aller commettre un vol de grains et n'avez vous pas engagé COLAS de vous accompagner, attendant disiez vous que vos familles souffraient ? »
GG : « pendant que LE LOUARN, COLAS et moi avons causé ensemble, il n'a pas été question de vol, par conséquent nous n'avons engagé Henri COLAS de venir avec nous commettre un vol. »
Question : « LE LOURAN ne dit il pas ; j'irais bien commettre un vol si nous étions 15 ou 16, ne lui avez vous pas répondu : si nous étions 3 ou 4 comme moi, je me chargerai de voler de nuit comme de jour. »
GG : « comme nous parlions de la misère qui régnait, je crois avoir dit qu'on aurait assez besoin de voler pour se procurer du grain. »
Question : « en quelle langue parliez vous ? »
GG : « dans la langue bretonne. »
Question : « est ce que Henri COLAS ne vendait pas de sabots ce dimanche là sur la place de Bannalec ? »
GG : « en effet, il avait étalé une certaine quantité de sabots auprès du cimetière. LE LOUARN et moi nous causions de l'autre côté de la rue. Il a quitté sa marchandise pour venir prendre part à notre conversation. »
Question : « en quittant Henri COLAS, qu'êtes vous devenu ? »
GG : « comme je n'étais pas loin de chez moi, je suis rentré. Je ne sais pas quelle direction a pris LOUARN. »
Question : « il est cependant établi par l'instruction qu'en quittant Henri COLAS un témoin vous a vu entrer dans la maison de BAFFET en sortir avec LE LOUARN, tous deux ivres. »
GG : « cela n'est pas vrai »
Question : le lundi 16 janvier et le mardi 17 du même mois, où avez vous passé votre temps ?
GG : « j'étais occupé ces deux jours là à fendre du bois pour le compte de Pierre GOACOLOU gendre du nommé CAPITAINE. J'ai même accompagné GOACOLOU à sa campagne pour acheter du cidre. »
Question : « où avez vous passé la nuit du mardi 17 au mercredi 18 ? »
GG : « chez moi »
Question : « cette nuit là, en compagnie d'Auguste BAFFET et Yves LE LOUARN, ne vous êtes vus pas rendu au village de Castel Coudiec à Bannalec et n'avez vous pas tous les trois de complicité commis un vol d'argent considérable puisqu'il s'agit de 2 000 francs au préjudice de Jean GUIGOURES cultivateur au dit lieu ? »
GG : « je passais la nuit du 17 au 18 chez moi, ce qui pourra être constaté par les personnes qui habitent le même appartement que moi. Je me suis couché à 8 heures du soir et me suis levé à 6 heures le mercredi 18. »
Question : « quelles sont les personnes qui habitent le même appartement que vous ? »
GG : « Mathieu ROPERS et sa femme »
Question : « avez vous été repris de justice ? »
GG : « j'ai été condamné par le tribunal de Quimperlé il y a environ 4 ans à 24 heures de prison pour vol d'une oie. »
Juste après l'audition de GUERNALEC, vers 1 heure du soir Yves LE LOUARN est entendu par le Juge pour la quatrième fois : répondant en français, il dit se nommer Yves LOUARNE, 37 ans, journalier demeurant au bourg de Bannalec, marié avec des enfants, sait signer.
Question : « le dimanche 15 janvier dernier, vers 11 heures du matin n'avez vous pas eu une assez longue conversation avec Guillaume GUERNALEC couvreur en ardoises demeurant au bourg. »
YL : « je ne me le rappelle pas »
Question : « ne vous rappelez vous pas non plus que Henri COLAS sabotier est venu causer avec vous ? »
YL : « en effet, je crois que ces deux individus et moi nous avons causé ensemble vis à vis le bureau de tabac de la demoiselle LE NARDON »
Question : « de quoi parliez vous ? »
YL : « nous parlions de choses indifférentes dont je ne me rappelle pas »
Question : « GUERNALEC et vous n'avez vous pas formé le complot d'aller voler du grain quelque part et n'engagiez vous pas Henri COLAS de vous accompagner ? »
YL : « il n'a pas été question de cela dans notre conversation »
Question : « ne donnez vous pas par prétexte de votre intention de commettre des vols de grain la souffrance de votre famille ? »
YL : « nous n'avons pas parlé d'aller voler »
Question : « n'avez vous pas dit à GUERNALEC : j'irais bien commettre un vol si nous étions 15 ou 16 individus et GUERNALEC ne vous aurait il pas répondu : si nous étions 3 ou 4 comme moi, je me charge de voler de nuit ou de jour ? »
YL : « je ne me rappelle pas avoir entendu ces propos ni avoir entendu GUERNALEC tenir ceux qui lui sont attribués. »
Question : « en quittant Henri COLAS, ne vous êtes vous pas rendu, GUERNALEC et vous, chez Auguste BAFFET ? »
YL : « en quittant Henri COLAS je suis rentré chez moi mais vers 2 ou 3 heures, je suis allé chez Auguste BAFFET pour goûter son cidre. Il m'avait invité plusieurs fois à aller en effet chez lui. J'ai bu un bol de cidre et ne me suis arrêté chez BAFFET qu'environ un quart d'heure. »
Question : « Guillaume GUERNALEC était-il avec vous ? »
YL : « je n'ai pas rencontré GUERNALEC chez Auguste BAFFET, j'ignore s'il y est allé après mon départ. »
Question : « il est cependant appris par l'instruction qu'on vous a vu entrer tous deux dans la maison BAFFET, en sortir plus tard, et portant l'un et l'autre un sac vide sous votre veste. »
YL : « après mon départ de la maison BAFFET, ayant su que le cheval de Jean Louis GUERNALEC était tombé dans un champs où il était à pâturer, qu'il ne pouvait plus se relever, j'allais sur la prière de Pierre GOACOLOU avec GUERNALEC relever cet animal. Nous sommes parvenus en effet à l'aide de sangles à le relever. Nous sommes rentrés au bourg potant sous nos vestes les sangles que nous avait prêtées Pierre GOACOLOU »
Question : « GUERNALEC n'était il pas l'un des 3 malfaiteurs qui ont commis un vol audacieux au préjudice de Jean GUIGOURES ? N'est ce pas lui qui faisait le guet à la porte de la maison tandis que Auguste BAFFET et vous étiez entrés pour voler les époux GUIGOURES ? »
YL : « j'ignore qui a été voler à Castel Coudiec, tout ce que je sais, c'est que je ne faisais pas partie des malfaiteurs qui ont commis ce crime. »
5 février 1854
Le témoignage de COTONNEC est jugé important par le Juge ABYVEN qui décide de le convoquer dans son cabinet à Quimperlé. Commencé le 5 février à midi, il va se continuer le lendemain où une confrontation est organisée avec Yves LE LOUARN. COTENNEC dépose en breton : « Je me nomme Jules LE COTONNEC âgé de 26 ans, journalier demeurant au bourg de Bannalec. Je dépose que je ne puis que renouveler la déclaration par moi faite devant M. le Juge de paix de Bannalec le 28 janvier dernier, savoir : le mardi 17 janvier 1854 je suis parti vers 5 heures ou 5 heures et demie en la compagnie d'Yves LE LOUARN aussi journalier au bourg de Bannalec pour nous rendre à la carrière de Roz Huel où nous avions des pierres à toiser pour Jean Marie BERTHELOT entrepreneur. Environ un kilomètre avant d'arriver à la carrière LE LOUARN me dit : passons par le sentier qui conduit à Stang Huel, nous déposerons nos soupe dans l'atelier de Pierre Louis PLAN puis nous nous rendrons à la carrière. Je lui répondis que j'avais l'habitude de suivre la grande route et que je ne voulais pas m'y détourner. Je poursuivis ma route et ne fut rejoint par LE LOUARN qu'environ une heure après mon arrivée. Il me dit qu'il était resté fumer une pipe à l’atelier de Pierre Louis PLANTE. Nous avons travaillé toute la journée comme la veille seuls dans la dite carrière de Roz Huel. À la tombée du jour nous revenions à la maison vers les 5 heures et demie du soir lorsque arrivés sur la route impériale entre la maison de Jean PREVOST forgeron et Parc Roshuel. Chemin faisant nous nous … de la cherté du grain et du peu que l'on gagnait dans cette saison du produit de son travail LE LOUARN me dit : viens avec moi ce soir et nous irons trois ou quatre quelque part où il y aura beaucoup de blé et beaucoup d'argent autrement nous sommes dans l'impossibilité de vivre et de faire vivre notre famille vu la cherté des grains. Je lui répondis que je ne voulais pas l'accompagner dans des circonstances pareilles, il n'insista pas pour le moment à m'engager d'avantage à l'accompagner pour l'exécution de ses projets, mais arrivés un peu plus loin, vers le bourg et toujours sur la grande route, LE LOUARN me demanda encore si je ne voulais pas l'accompagner pour aller dans l'endroit où il avait le projet de voler. Ma réponse fut encore négative et lui donner comme motif que je ne pouvais pas quitter la maison au milieu de la nuit. LE LOUARN répliqua : tu es trop capon, tu resterais mourir de faim plutôt que de te secourir et ajouta, si je ne vais pas ce soir même, j'irais avant la fin de la semaine et avant d'être trop affaibli par la famine. La conversation cessa et nous rentrâmes dans le bourg de Bannalec sans que LE LOUARN me parla de son projet de voler. »
Le même jour 5 février 1854, vers 18h00 le Brigadier GARRESSUS et le gendarme MIGNON rédige un nouveau procès verbal constatant de nouveaux renseignements recueillis près du nommé Henry COLAS sabotier au bourg, au sujet d'un complot de vol. En effet, convoqué à la gendarmerie, Henry COLAS déclare : « le dimanche 15 janvier 1854 vers 11 heures du matin, me trouvant sur la place publique du bourg à vendre des sabots le dit LOUARN Yves actuellement détenu à la maison d'arrêt de Quimperlé et le nommé Guillaume GUERNALEC couvreur demeurant au bourg de Bannalec ont fait le complot en ma présence d'aller commettre un vol de grain en m'engageant d'aller avec eux attendu me disaient ils que leurs familles souffraient la faim. Le dit LOUARN dit au nommé GUERNALEC : j'irais bien commettre un vol si nous étions quinze ou seize individus. GUERNALEC lui répondit : si nous étions trois ou quatre comme moi, je m’en charge de voler de nuit comme de jour. Après ces propos ils se dirigent vers la demeure du sieur BAFFET Auguste également détenu à la maison d'arrêt de Quimperlé. Revenant chez moi entre deux ou 3 heures de l'après midi, je vis les deux individus sortir de chez le dit BAFFET avec chacun un sac plié caché sous leur veste et qui paraissaient être dans un état d'ivresse.Ce jourd'hui, me trouvant également sur la place publique du bourg vers 3 heures de l'après midi, la femme LOUARN m'a fait des menaces en me disant que si j'avais le malheur de dénoncer les voleurs, qu'on m'aurait fait passer le goût du pain. Je lui ai répondu puisqu'elle parlait de la sorte que j'irais faire ma déclaration à la justice en lui faisant connaître le complot que son mari et GUERNALEC avait tenu en ma présence le 15 du mois de janvier dernier. »
6 février 1854
Le 6 février le Juge de paix informe le Procureur Impérial de Quimperlé de la déclaration d'Henry COLAS. Il indique : « D'après cette déclaration, en effet le dit COLAS se trouvant sur la place du bourg, le dimanche 15 du mois de janvier dernier, aurait entendu le nommé Guillaume GUERNALEC dit Christe Douce couvreur à Bannalec se concerter avec l'inculpé LE LOUARN pour aller en réunion prendre du blé en quelque part. Le même COLAS nous a ajouté avoir vu le même jour les dits LE LOUARN et GUERNALEC revenir de chez Auguste BAFFET avec chacun un sac sous le bras. Je vais me rendre immédiatement procéder à une perquisition chez le dit GUERNALEC et aviser aux moyens de m'assurer de sa personne pour vous le faire conduire si vous jugez à propos de faire décerner contre lui un mandat d'amener et de comparution. Je crois devoir ajouter Monsieur le Procureur Impérial que le dit COLAS m'a cité d'autres personnes comme ayant entendu ce complot entre GUERNALEC et l'inculpé LE LOUARN et les avoir croit il même vu sortir comme lui de chez l'inculpé BAFFET. Veuillez agréer Monsieur le Procureur Impérial, l'assurance de ma considération très distinguée. »
Sans tarder, à la suite de ces déclaration, le Juge ABYVEN décerne un mandat d'arrêt contre Guillaume GUERNALEC dit Christe Douce, couvreur (33 ans, 1,72 m, front ordinaire, yeux bleus, nez moyen, bouche moyenne, menton rond, cheveux châtains, sourcils châtains, visage ovale, teint coloré)
Le 6 février 1854, Le Juge de paix agissant en qualité d'officier de police judiciaire, assisté de Julien Jérôme LE GRAND son greffier auditionne Henry COLAS époux de Marie Françoise STANQUIC, sabotier demeurant au bourg de Bannalec, lequel fait la déclaration suivante : « le dimanche 15 du mois de janvier dernier, me trouvant sur la place du bourg de Bannalec, auprès du débit de tabac de Mademoiselle LE NARDON, peu de temps après que la grande messe avait commencé et où étaient réunis en même temps que moi les nommés Louis GUERNALEC forgeron et cabaretier au bourg, Jules CELIN journalier à Moustoulgoat, Bertrand MORVEZEN charron au bourg, Guillaume GUERNALEC couvreur et l'inculpé LE LOUARN, ces deux derniers habitant également le bourg, tous de la commune de Bannalec. Après avoir parlé de la cherté du grain et LE LOUARN ayant dit que l'on devrait se réunir à quinze ou seize pour aller prendre du blé quelque part, qu'autrement il n'y aurait pas moyen de vivre au prix qu'allait le grain, Guillaume GUERNALEC dit Christe Douce lui répondit qu'il ne fallait pas être en si grand nombre que trois ou quatre suffisaient pour pouvoir se procurer le blé qui leur aurait fallu pour vivre. Cette conversation terminée sans avoir pour le moment rien arrêté au sujet de cette proposition de réunion, acceptée seulement pour Guillaume GUERNALEC, chacun s'en alla de son côté et je ne pensais plus à tout ce qui avait été dit par les personnes que je viens de citer, lorsque dans le courant de la même journée, vers les 2 ou 3 heures de l'après midi je vis le dit Guillaume GUERNALEC et l'inculpé LE LOUARN sortir de la cour de l'inculpé BAFFET avec chacun un sac sous le bras et je crois même que ce dernier fait a du avoir également été remarqué par Charles CORNEC journalier, Marie LE ROUX femme CORNE et le petit René GOURLET mon neveu âgé de 14 ans. J'ajouterai que ce qui m'a décidé à faire cette déclaration c'est la femme de l'inculpé LE LOUARN qui m'a dit que si je ne voulais pas garder le silence sur ces faits, on pourrait bien me faire enlever le goût du pain. »
Cette déclaration terminée, le Juge de paix, son greffier, Monsieur LE DEZ adjoint au maire, le brigadier de gendarmerie GARRESSUS, les gendarmes MIGNON et CAUJEAN se transportent immédiatement jusqu'au domicile de Guillaume GUERNALEC. Arrivés vers 10 heures, ils sont introduits dans une chambre située au premier étage et donnant sur la cour de Pierre GOACOLOU aubergiste au bourg. Dans une première chambre communiquant avec celle des époux GUERNALEC, les nommés Marie LE GAC veuve ROPERS et Marie Anne LE THAERON femme ROPERS. Ils entrent ensuite par la seule porte de communication qui sépare en deux chambres et qui seule sert aussi à fréquenter celle occupée par les époux GUERNALEC, ils font procéder à une perquisition tant es époux GUERNALEC où Périne SUPIOT femme GUERNALEC se trouvait seule chez elle mais également chez les époux ROPERS. Ces perquisitions ne permettent pas la découverte d'objet suspect. Ils constatent que la croisée éclairant la chambre des époux GUERNALEC ferme au moyen d'une espagnolette, donne sur le jardin muré de CAPITAINE et qu'elle se trouve à une hauteur de 2,20 mètres du sol de ce jardin. Ils procèdent alors à l'interrogatoire des personnes trouvées au domicile des époux ROPERS et GUERNALEC de la manière suivante :
1°) Périne SUPIOT femme GUERNALEC : « Le mardi 17 du mois de janvier dernier mon mari après s'être couché à 8 heures du soir et n'être sorti pendant toute cette nuit, ne s'est levé le lendemain qu'à 6 heures du matin. Ce fait peut être certifié tant par les époux ROPERS nos voisins que par Marie LE GAC leur mère puisque nous n'avons d'autre porte de sortie de notre chambre que celle qui communique à la leur. Qu'étant de cette manière obligés de passer par leur appartement pour sortir du notre, il nous serait bien difficile pour ne pas dire impossible, de passer ainsi par leur pièce sans qu'ils en eussent connaissance. Quant au dimanche 15 mon mari a eu occasion de sortir d'abord vers les 9 heures du matin pour ne rentrer qu'à midi, qu'après son dîner il est ressorti vers 1 heure et n'est revenu à la maison que vers les 3 heures. Que depuis ce moment jusqu'à la nuit il est resté fendre du bois dans la cour, que pendant toute cette journée il n'a été chez personne prendre aucun sac, en ayant un nous même pour les besoins de notre ménage. »
2°) Marie Anne LE THAERON femme ROPERS : « le mardi 17 du moi dernier, mon mari, ma mère et moi nous étions tous allés nous coucher vers les 8 heures du soir. Une demie heure après environ, nous entendîmes Guillaume LE GUERNALEC passer dans notre chambre pour aller se coucher et nous ne l'avons plus entendu depuis ce moment jusqu'au lendemain matin, lorsque vers les 7 heures il est ressorti pour aller à son travail. Je puis donc certifier que pendant toute cette nuit il n'a pas passé par notre chambre pour sortir de chez lui. »
Puis le petit groupe se rend au domicile de Louis GUERNALEC forgeron et aubergiste, Louis TANGUY menuisier et aubergiste les deux demeurant au bourg de Bannalec. En présence des dits GUERNALEC et TANGUY, ils procèdent à une nouvelle perquisition qui n'a eu d'autres résultats que de trouver :
chez GUERNALEC 47 pièces de 5 francs, 6 pièces de 2 francs, 9 pièces d'un franc, 1 de 50 centimes et une quinzaine de francs en billon plus une obligation de 600 francs, non enregistrée, que GUERNALEC a dit provenir en partie du produit de la vente d'un petit bien qu'il a vendu au lieu du Castel Coudiec en Bannalec et ensuite,
chez TANGUY, 6 pièces de 5 francs, 4 de 2 francs, 2 d'un franc, 2 de 50 centimes et 12,75 francs en billon que le même TANGUY, déclare lui rester d'un emprunt d'une somme de 900 francs qu'il avait empruntée dernièrement de Louis PUSTOCH de Saint Thurien, dont il avait payait 775 francs pour une petite acquisition qu'il venait de faire en l'étude de Me CHARDON et 81,50 francs pour une vache.
Le Juge interpelle ensuite GUERNALEC et TANGUY sur l'emploi de leur temps pendant la nuit du 17 au 18. GUERNALEC répond ne pas être sorti de chez lui pendant toute cette nuit mais ne pouvoir se rappeler l'heure à laquelle il était allé se coucher le mardi 17 ni à quelle heure il s'était levé le lendemain matin. TANGUY dit être allé se coucher, ainsi que toute sa famille, le mardi 17 vers les 8 heures du soir et ne s'être levé le lendemain 18 qu'après 6 heures du matin et n'être point sorti de sa maison pendant toute cette nuit. Ce dernier ajoute avoir eu pendant 2 mois le fusil de DRAOUEN chez lui et qu'il l'avait donné ce fusil à son propriétaire depuis le dimanche 29 du mois de janvier dernier.
Cette opération terminée, Le Juge de paix retourne à sa demeure accompagné seulement de son greffier et fait appeler séparément les nommés Jules CELIN et Bertrand MORVEZEN. Interpellés de déclarer si le dimanche 15 du mois de janvier dernier, ils ne s'étaient pas réunis sur la place du bourg de Bannalec avec les nommés Guillaume GUERNALEC, Henry COLAS et l'inculpé LE LOUARN ou s'ils n'avaient pas entendu GUERNALEC et LE LOUARN dire qu'il fallait se réunir pour aller prendre du blé, ils répondent que rien de tout ce que le Juge vient de leur n'est parvenu à leur connaissance.
Questionnés de la même manière que les précédents, les nommés Charles CORNEC, Marie LE ROUX femme CORNE et René GOURLET de déclarer si dans le courant de la journée du dimanche 15 du mois de janvier dernier ils n'avaient pas vu les nommés Guillaume GUERNALEC et l'inculpé LE LOUARN munis de sacs sous le bras ou ailleurs sortir de la cour de l'inculpé BAFFET. Les trois répondent négativement. Charles CORNEC précise même que le dimanche 15 janvier il avait quitté Bannalec pour aller conduire des bœufs à Lorient.
A l'issue de la perquisition effectuée chez GUERNALEC, le Juge de paix de Bannalec écrit au Procureur Impérial : « J'ai l'honneur de vous adresser ci-joint le procès verbal de perquisition et d'information que j'ai cru devoir rédiger à l'occasion de la déclaration faite par Henry COLAS contre les inculpés LE LOUARN, BAFFET et GUERNALEC. Je crois cependant devoir vous faire connaître Monsieur le Procureur Impérial, que d'après l'inspection des lieux il est difficile d'admettre la culpabilité de GUERNALEC en présence des déclarations faites par les époux ROPERS ses voisins, par l'habitation desquels il est obligé de passer pour entrer dans sa chambre et qui déclarent l'avoir entendu entrer chez lui le mardi 17 à 8 heures du soir et ne l'avoir entendu sortir pendant toute cette nuit que le lendemain matin à 6 heures du matin à moins qu'il ne soit sorti par la fenêtre de son habitation qui donne sur le jardin de CAPITAINE et qui n'est élevé du sol que de 2,20 mètres de ce jardin. Nous avons en effet remarqué qu'il aurait assez facilement pu rentrer dans l'aire de Joseph BAFFET sur laquelle donne aussi la porte de derrière de l'inculpé LE LOUARN, le mur qui sépare cette aire du jardin de CAPITAINE n'étant élevé du sol que de 1,20 mètre. Veuillez agréer Monsieur le Procureur Impérial, l'assurance de ma considération très distinguée. »
A Quimperlé, dans le bureau du Juge ABYVEN, l'audition de Jules LE COTTONNEC reprend : « Yves LE LOUARN ne m'a pas dit où il avait le projet d'aller voler ni ne m'a nommé les deux individus qu'il avait l'intention de s'associer pour l'exécution de son projet. La semaine précédente j'avais travaillé seul avec Yves LE LOUARN excepté une seule journée et demie mais LE LOUARN ne me parla pas pendant tout ce temps qu'il avait l'intention de voler. Le 18 janvier lorsque j'appris qu'un vol d'argent avait été commis au préjudice de Jean GUIGOURES du village de Castel Coudiec, j'ai pensé en moi même que LE LOUARN pouvait être un des auteurs de ce vol. cependant je gardais le silence pendant plusieurs jours relativement aux propositions qui m'avaient été faites par cet inculpé, mais ce n'est que trois ou quatre jours après que j'ai raconté à la femme de Jean Marie BERTHELOT ce qui s'était passé entre Yves LE LOUARN et moi dans la soirée du 17 janvier. Plus tard j'ai parlé aussi à Louis COTONNEC qui a travaillé avec moi à la carrière de Kervinic Kersclippon et ne sais autre chose. »
Question : « après votre refus de suivre LE LOUARN dans son expédition ne vous a-t-il pas recommandé de garder le silence sur la conversation que vous aviez eu ensemble et ne vous fit-il pas de menaces ? »
Réponse : « non »
Question : « le sabotier Pierre Louis PLANTE est-il ancien ? A-t-il des cheveux et la barbe grise ? Est ce un homme fort et gros ? »
Réponse : « Pierre Louis PLANTE est de petite taille, assez chétif et n'a ni cheveux ni barbe gris. Il porte le costume des artisans, savoir veste et pantalon. »Question : « combien le sabotier a-t-il d'ouvriers et comment sont-ils ordinairement vêtus ? »
Réponse : « Environ 6 ou 7 sans pouvoir fixer le nombre au juste, la plupart des ouvriers sont vêtus en artisan à l'exception de deux qui portent le costume de Bannalec et de Kervinic mais je ne sais pas le nom de ces deux ouvriers. L'un de ces deux individus habite la commune de Kernevel et le second le village de Tromeil en Bannalec. »
Aussitôt, le Juge ABYVEN fait comparaître Yves LE LOUARN à qui est donné connaissance de la déclaration de Jules LE COTONNEC. En observation, l'inculpé LE LOUARN reconnaît que : le 17 janvier il est parti de Bannalec avec Jules COTONNEC, qu'il a quitté sa compagnie sur la route pour aller à l'atelier de Pierre Louis PLANTE, que après avoir fumé une pipe, il a quitté cet atelier pour aller rejoindre COTONNEC, qu'ils ont travaillé tous deux, seuls jusqu'à la nuit, que chemin faisant pour se rendre au bourg de Bannalec ils ont parlé de la misère du temps et de la peine nécessaire pour ces ouvriers pour gagner du pain pour eux et pour leur famille mais l'inculpé nie formellement avoir engagé Jules COTONNEC aller commettre un vol.
Le témoin LE COTONNEC persiste dans ses dépositions et maintient qu'elles contiennent l'exacte vérité.
7 février 1854
Vers 1 heure et demie du soir commence le troisième interrogatoire d'Auguste BAFFET : répondant en français, il dit se nommer Auguste BAFFET, 51 ans, ancien aubergiste demeurant au bourg de Bannalec, marié avec des enfants, sait lire et écrire.
Question : « le dimanche 15 janvier dernier Yves LE LOUARN et Guillaume GUERNALEC ne sont ils pas allé chez vous et à quelle heure ? »
Réponse : « GUERNALEC n'est pas venu ce jour là chez moi du moins à ma connaissance quand à Yves LE LOUARN qui m'avait aidé les jours précédents à charger une charrette de pierres de taille dans la carrière où il travaillait, je l'avais prié de venir à la maison et que je lui ferai goûter mon cidre. L'ayant aperçu dans la rue, je lui fis signe de m'accompagner à la maison, ce qu'il fit. Je lui …. soit une écuelle, soit un bol de cidre et ill restera peu de temps après et je ne l'ai pas vu depuis ce moment. »
Question : « il est cependant appris par l'instruction que le dit jour, LE LOUARN et GUERNALEC ont été vus entrer ensemble dans votre domicile et en sortir plus tard portant chacun sous leurs vestes un sac vide. »
Réponse : « ces deux individus sont bien passés à côté de chez moi dans l'après midi, accompagnés de plusieurs autres pour aller relever un cheval appartenant à Jean Louis GOACOLOU charbonnier et qui passait dans un de leur champs. Ils sont parvenus à l'aide de sangles ou de cordes à relever cet animal et quand ils sont rentrés au bourg , ils devaient porter soit à la main, soit sous leurs vêtements les cordes ou sangles dont ils s'étaient servis. Mais personne n'a vu ni GUERNALEC, ni LOUARN sortir de chez moi portant un sac, d'ailleurs GUERNALEC n'est pas venu à la maison ce jour là. »
Question : « il est également appris que GUERNALEC et LE LOUARN auraient former le projet d'aller voler du grain. On les a vus entrer chez vous un instant après et en sortir ivres. Je vous demande si GUERNALEC n'était pas le 3° malfaiteur qui a été vu à la porte de Jean GUIGOURES, tandis que Yves LE LOUARN et vous, vous faisiez des recherches pour découvrir l'argent de ce cultivateur. »
Réponse : « j'ignore si GUERNALEC et LE LOUARN ont formé le projet d'aller voler du grain. Tout ce qu'il y a de certain cest que ces deux hommes ne lui avaient pas fait part de leur projet, que je ne me rappelle pas avoir GUERNALEC à la maison ni le 15 janvier, ni auparavant et persiste à maintenir que je ne suis ni auteur ni complice du vol commis au préjudice de Jean LE GUIGOURES et ne connais aucun des auteurs de ce crime. »
8 février 1854
Le 8 février 1854 dans son cabinet à Quimperlé vers 1 heure du soir, le Juge d'instruction reçoit le témoin PLANT. Répondant en français, il déclare : « Je me nomme Pierre Louis PLANT, âgé de 40 ans, Maître sabotier, travaillant actuellement à Kergaric, commune de Bannalec. Pendant que les ouvriers Yves LE LOUARN et Jules COTONNEC travaillaient à la carrière de Kergallic située à quelques centaines de pas de mon atelier, ces deux individus venaient quelques fois mettre leur diner dans ma cabane à midi, ils venaient chauffer leur soupe à mon feu et prenaient ensuite leur repas. Le mardi 17 janvier dernier Yves LE LOUARN se rendit de très grand matin à mon atelier en disant qu'il avait laissé LE COTONNEC sur la grande route pensant que la route de traverse qu'il avait prise pour venir chez moi était plus courte. Après avoir déposé sur mon lit ce qu'il avait pour son repas de midi, il se mit auprès du feu, alluma sa pipe et resta causer environ une demie heure dans mon atelier. »
Le 8 février, Jean GUIGOURES est à nouveau entendu : « ….... au bourg de Bannalec ce que BAFFET me voulait. J'allais chez lui et il me pria en grâce de lui prêter trois ou six cents francs dont il avait un urgent besoin mais je lui répondis que je n'avais pas d'argent dans le moment. Depuis ce temps BAFFET n'a jamais réitéré sa demande et je ne lui ai jamais rien prêté. Je ne me rappelle non plus avoir jamais vu BAFFET à la maison, cependant le 18 janvier lorsque LE LOUARN et lui furent confrontés avec ma famille et moi, il soutenait être venu plusieurs fois acheter du cidre à la maison ce que je ne crois pas exact. »
Question : « connaissez vous GUERNALLEC couvreur en ardoises demeurant à Bannalec ? »
Réponse : « je le reconnais parfaitement bien »
Question : « l'individu qui vous a empêché de sortir de votre maison dans la nuit du 17 au 18 janvier est-il de la taille et vêtu comme l'est ordinairement cet ouvrier ? »
Réponse : « je ne puis l'affirmer je n'ai pas pu fixer cet homme puisqu'il m'a repoussé dans la maison et qu'il s'est aussitôt retiré. Ce que j'ai pu remarquer dans sa fuite, c'est qu'il avait un pantalon et veste de toile, coiffé d'un chapeau plat à la mode de campagne et chaussé de sabots. »
Le Juge fait comparaître Guillaume GUERNALEC pour être confronté avec Jean GUIGOURES. Après l'avoir fait marcher rapidement le dos tourné, il est demandé à Jean GUIGOURES s'il croit reconnaître cet individu pour être celui qui faisait le guet à sa porte dans la nuit du 17 au 18 janvier dernier. Jean GUIGOURES après avoir attentivement examiné l'inculpé Guillaume GUERNALLEC déclare que l'individu qui l'a repoussé dans la maison lorsqu'il a voulu sortir lui a paru moins grand que Guillaume GUERNALLEC, qu'il portait un costume différent si ce n'est le chapeau qui en est de même forme et uni comme est celui de l'inculpé ici présent. Jean GUIGOURES ne peut affirmer que ce soit le même homme, d'autant qu'il était troublé et apeuré et qu'il n'a pas eu le temps de bien fixer celui qui venait de me repousser. L'inculpé GUERNALEC lui, persiste à maintenir qu'il est innocent du crime qui lui est imputé et qu'il n'est pas sorti cette nuit de la maison.
15 février 1854
Le 15 février le Docteur BEAUGENDRE confirme ses premières déclaration relatives aux constations des blessures de Jean GUIGOURES. Là encore, le cas de Marie GESTALEN épouse GUIGOURES n'est pas évoqué. Mais surtout, pour répondre aux interrogations du Juge ABYVEN, il déclare que les traces noires trouvées sur la figure de LE LOUARN et derrière l'oreille de BAFFET ne peuvent provenir que d'un enduit de suie ou de charbon appliqué volontairement sur ces parties du corps. Il ne pense pas que le fait de ramoner une cheminée puisse faire adhérer dans le cou et la barbe la quantité de corps carbonisé qu'il y a trouvé.
Le Juge lui demande alors si les marques trouvées derrière l'oreille de BAFFET auraient pu être faites en se grattant après avoir touché de la suie. La réponse du Docteur BEAUGENDRE est : « si une démangeaison subite avait forcé BAFFET à se gratter l'oreille, cette action n'aurait pas produit des traces disposées comme celles que j'ai vues, ni aussi apparentes. Et en outre, BAFFET se serait servi de la main du côté où la démangeaison existait, c'est à dire du côté gauche ».
16 février 1854
Vers 10 heures du matin, Henry COLAS est auditionné à Quimperlé par le Juge d'instruction. En français, il dépose : « je me nomme Henry COLAS, 36 ans, sabotier demeurant au bourg de Bannalec. Je dépose que je n'ai aucune connaissance personnelle du vol reproché à Auguste BAFFET, Yves LOURAN et Guillaume GUERNALEC. Le dimanche 15 janvier dernier,vers 9 heures et demie du matin, j'étais à vendre des sabots près le mur du cimetière et vis à vis du bureau de Mademoiselle LE NARDOU. M'étant approché du bureau de la dite demoiselle NARDOU pour fumer la pipe et causer. Jules SELLIN journalier à Moustoulgoat était à côté de moi ; Bertrand MORVEZEN se tenait à une distance de sept à huit pas et Yves LE LOUARN et Guillaume GUERNALEC causaient ensemble à quatre pas de moi et de Jules SELLIN. Nous entendions très bien distinctement la conversation de LOUARN et GUERNALEC. LE LOUARN parlait du haut prix des grains et disait que l'on devrait se réunir à 15 ou 16 pour aller prendre du blé quelque part. Autrement il n'y avait pas moyen de vivre au prix où était le grain. GUERNALEC lui répondit qu'il ne fallait pas être un si grand nombre, que 2 ou 4 suffisaient pour pouvoir se procurer les blés nécessaires pour vivre.
Louis GUERNALEC forgeron et cabaretier au bourg était présent à cette conversation. Louis GUERNALEC dit avant de se séparer : pour cette année je n'irais pas encore voler, j'ai de quoi vivre ; l'année prochaine je ne sais pas ce que je deviendrais. Ils se sont retirés et sont rentrés chacun chez lui (sic). Ma maison est située rue de Scaer vis à vis de la demeure d'Auguste BAFFET. Le dit jour 15 janvier sur les deux heures et demi de l'après midi, je descendais la rue pour aller chez moi lorsque j'ai vu Yves LE LOUARN et Guillaume GUERNALEC sortir de la cour d'Auguste BAFFET, ils portaient l'un et l'autre un sac caché sous leur veste. Je suis certain que Marie LE ROUX femme CORNE était à sa porte et le jeune GOURLET dans la rue lorsque les deux inculpés sont sortis de la cour de BAFFET. Je crois aussi sans être cependant certain avoir vu Charles CORNEC journalier sortir de son entrée dans le même moment.
Ce fut le vendredi suivant à mon retour de la campagne on me parla du vol commis dans la nuit du 17 au 18 janvier au préjudice de Jean GUIGOURES de Castel Coudiec. Je me suis alors rappelé de la conversation que j'avais entendue le dimanche 15 janvier entre Yves LE LOUARN et les frères GUERNALEC. Je pensais que ce pouvait bien être eux qui avaient commis le vol. Je fis aussitôt part aux ouvriers qui travaillaient dans mon chantier.
Le dimanche 5 février vers les 5 heures du soir, j'ai rencontré près de la maison de Monsieur CHARUEL percepteur des contributions, la femme d'Yves LE LOUARN. Cette femme m'adressant la parole dit : vous êtes bien satisfait de voir mon mari en prison n'est ce pas ? Car vous tenez par là des propos contre les inculpés mais si vous avez le malheur de continuer à blaguer comme vous faites, on vous fera passer le goût du pain.
Cette menace me porta à aller trouver le Juge de paix et lui faire une déclaration de ce que j'avais entendu le dimanche 15. J'oubliais de déclarer au magistrat que le lundi 16 allant à mon ouvrage, j'avais rencontré Guillaume GUERNALEC qui me dit : « il y a une révolte à Quimperlé au sujet de l'embarquement du grain, j'ai envie d'y aller ». Je lui répondis : «ça ne vaut guère la peine, il y a du monde assez là, reste chez toi ». J'ai su depuis qu'il avait suivi mon conseil. »
Le témoignage d'Henry COLAS étant terminé, le Juge d'instruction décide d'une confrontation et fait comparaître les inculpés Yves LE LOUARN, Guillaume GUERNALEC et Auguste BAFFET auxquels il est donné lecture des déclarations faites par COLAS et le Juge leur demande s'ils ont quelques observations à faire.
Yves LE LELOUARN et Guillaume GUERNALEC conviennent qu'ils se sont rencontrés non loin de la demeure de la demoiselle LE NARDOU le dimanche 15 janvier, que là ils ont parlé de la misère du temps et du haut prix des céréales, que GUERNALEC dans la conversation a dit si ça continue il faudra mourir de faim ou aller voler, que pendant que la conversation roulait sur le sujet, ils furent rejoints par Henry COLAS qui leur dit : « il faut sans bruit, se réunir 12 ou 15 et aller ensemble faire un tour pour chercher du blé » puis il ajoute : « il arrive assez de blé dans le pays mais j'ai lu dans un journal du sieur SINQUIN Notaire, malheur à celui qui mangera ce blé car on le dit empoisonné ». qu'après cela ils se sont séparés et nous nous sommes pas revus de la journée. Vers les 2 heures et demie nous sommes allés dans le champ de BAFFET relever un cheval appartenant au charbonnier GOACOLOU qui y était tombé et ne pouvait se relever. Nous sommes revenus tous les deux ensemble, nous n'avons (pas) passé dans l'aire à battre de BAFFET, nous avons pris le chemin de Scaër pour aller au bourg. Il y avait plus de 50 personnes sur les lieux qui peuvent attester ces faits.
LOUARN reconnaît de nouveau avoir été quelque temps auparavant boire quelques verres de cidre chez BAFFET, ce dernier maintenait que GUERNALEC Guillaume n'est pas entré chez lui dans la journée du 15 janvier, ni ne se rappelle pas même de l'y avoir vu avant ce jour. GUERNALEC nie avoir parlé à COLAS le lundi 16 janvier dernier.
Le Juge demande alors aux inculpés si Henry COLAS a quelques sujets d'animosité contre eux et pour quel motif ? GUERNALEC et LE LOUARN déclarent qu'ils n'ont jamais de différents avec COLAS. Auguste BAFFET déclare que : « COLAS lui devait 48 francs pour boisson et foin, somme qu'il n'a niée lorsqu'il a été poursuivi devant le tribunal de Quimperlé pour outrages publics à la pudeur. C'est devant ma femme et une autre femme du bourg qu'il avait commis ce délit et depuis cette condamnation, il en veut à moi et à toute ma famille ».
Le témoin Henry COLAS maintient que les inculpés n'ont dit que des mensonges et qu'il persiste dans la déclaration qu'il a faite.
A la suite des déclarations d'Henry COLAS, le Juge d'instruction ABYVEN décide d'entendre toutes les personnes citées par COLAS et qui sont susceptible d'avoir entendu les propos et l'éventuel complot fomenté par BAFFET, GUERNALEC et LE LOUARN.
À 10h30 est entendu Louis GUERNALEC, 36 ans, forgeron au bourg de Bannalec qui dépose en breton : « je suis frère de Guillaume GUERNALEC un des inculpés. Je n'ai absolument aucune connaissance personnelle du vol reproché aux inculpés et ne puis donner au sujet du vol commis au préjudice de Jean GUIGOURES aucun renseignements à la Justice. Je ne me rappelle pas avoir rencontré mon frère et Yves LE LOUARN le dimanche 15 janvier près du bureau de tabac de mademoiselle LE NARDOU. Je ne me souviens pas les avoir entendu parler de la cherté du grain. Après qu'on a eu connaissance du vol, plusieurs personnes m'en ont parlé sur la rue, j'ai pu dire à ceux qui m'adressait la parole que cette année je n'irais pas voler ayant de quoi vivre mais si la disette continuait je ne sais pas ce que je ferais l'an prochain Je ne me rappelle pas avec qui j'ai tenu ces propos ».
À 10h45 se présente donc Bertrand MORVEZEN qui en breton dépose : « j'ai 37 ans, je suis charron au bourg de Bannalec. Je n'ai absolument aucune connaissance des faits reprochés aux inculpés. Je ne crois pas m'être trouvé sur la rue dans l'endroit indiqué le dimanche 15 janvier dernier, tout ce qu'il y a de certain c'est que je n'ai pas vu ce jour là, Yves LE LOUARN et les frères GUERNALEC réunis et causant ensemble vis à vis le bureau de la demoiselle NARDOU ».
A 11h00, Jules SELLIN, 50 ans journalier à Moustoulgoat est dans le bureau du Juge et dépose en breton : « je n'ai absolument aucune connaissance des faits reprochés aux inculpés. Je me rappelle que le dimanche 15 janvier dernier, au moment où la grande messe allait commencer au bourg, avoir vu Yves LE LOUARN et Louis GUERNALEC sur la rue ainsi que Henry COLAS sabotier mais je ne les ai pas entendu causer ensemble, ils étaient tous trois à une petite distance l'un de l'autre. »
A 12h00, arrive René GOURLET 14 ans, apprenti sabotier, demeurant chez Henry COLAS au bourg de Bannalec qui dépose en breton : « je me rappelle qu'un dimanche, sans pouvoir me rappeler la date du mois, j'ai vu Yves LE LOUARN et Auguste BAFFET sortir ensemble de l'aire à battre de ce dernier et remontant tous les deux la rue pour aller vers l'église. Henry COLAS mon patron qui demeure vis à vis de la maison d'Auguste BAFFET descendait la rue à ce moment là. Il a du comme moi voir les deux individus et je ne sais pas autre chose ».
A 12h30, lui succède Marie LE ROUX épouse de François CORNEC qui dépose en breton : « je n'ai absolument aucune connaissance du vol reproché aux inculpés et ne puis donner aucun renseignement à ce sujet. Je n'ai pas vu le 15 janvier vers 2 heures et demie Guillaume GUERNALEC et Yves LE LOUARN sortir de l'aire à battre d'Auguste BAFFET car à cette heure j'étais à l'église et assistais aux vêpres. Dans la nuit du 17 au 18 janvier, je n'ai pas entendu d'allées et venues dans a maison d'Auguste BAFFET ».
A 12h45, c'est au tour de Charles CORNEC, 53 ans, journalier demeurant au bourg de Bannalec , rue de Scaër qui dépose en breton : « je ne sais rien, n'ayant ni rien vu, ni rien entendu relativement au fait reproché aux inculpés. Le dimanche 15 janvier je suis parti à 8 heures et demie du matin pour aller à Lorient et ne suis arrivé chez moi que le lendemain matin, sur les 10 heures ».
A 13h00 : Mathieu ROPERS, 44 ans, journalier vient déposer en breton : « je n'ai absolument aucune connaissance des faits reprochés aux inculpés. Depuis le 29 septembre dernier, j'ai sous loué à Guillaume GUERNALLEC, couvreur en ardoise un appartement séparé seulement de celui que j'habite, d'une simple cloison. Pour arriver à cet appartement, GUERNALLEC est obligé de passer par celui que j'occupe moi-même. Depuis que ce couvreur habite mon voisinage je n'ai eu qu'à m'en louer. C'est un homme laborieux et un bon père de famille. Il fait tout son possible pour nourrir sa femme et son enfant. Le mardi 17 janvier dernier, Guillaume GUERNALEC est rentré à 8 heures du soir après que la cloche a sonné pour la fermeture des cabarets, il a passé par l'appartement où ma femme et moi et ma mère étions déjà couchés pour aller dans le sien. Je suis certain qu'il n'est pas sorti ce soir là à moins que ce ne soit par la fenêtre de sa chambre élevée du sol de plus de 4 mètres. Le lendemain à mon réveil, GUERNALEC était encore couché mais n'a pas tardé à sortir du lit vers les 6 heures et demie. Aucun de nous trois n'a entendu aucune allée ni venue dans la chambre de GUERNALLEC cette nuit là ».
A 14h00, Marie Anne THAERON épouse de Mathieu ROPERS, 58 ans dépose en breton : « je dépose que j'ai bien entendu parler d'un vol commis dans la nuit du 17 au 18 janvier au préjudice de Jean GUIGOURES mais je ne peux donner à la justice aucun renseignement au sujet du vol dont je ne connais pas les auteurs. Guillaume GUERNALEC inculpé d'être complice de ce vol est suivant moi innocent du crime qu'on lui impute car cet homme qui occupe avec sa famille un appartement qui n'est séparé du mien que par une simple cloison en planche et ne peut communiquer avec cet appartement qu'en passant par le nôtre ni en sortir non plus à moins de sauter par la fenêtre qui est très élevée du sol. Le mardi 17 janvier cet inculpé est rentré chez lui en passant par notre chambre vers les 8 heures du soir et s'est couché immédiatement après. Pendant toute la nuit il n'est pas sorti du lit car ni mon mari, ni ma belle mère ni moi n'avons entendu aucun bruit dans cette chambre jusqu'au lendemain matin 6 heures ou 6 heures et demie au lever de la famille GUERNALEC. GUERNALLEC est un homme laborieux et honnête et je le crois incapable d'un crime semblable à celui qui lui est reproché. C'est au reste un ouvrier laborieux et rangé qui fait tout son possible pour nourrir sa famille ».
A l'issue de ces différentes auditions, le Juge d'instruction ABYVEN décide d'une confrontation entre Louis GUERNALEC, Bertrand MORVEZEN, Charles CORNEC, Marie LE ROUX et René GORLET avec Henry COLAS. Après avoir donné lecture en breton des déclarations d'Henry COLAS, il leur demande s'ils ont des observations à formuler. Tous les témoins déclarent avoir dit la vérité et n'avoir rien à changer. COLAS lui, persiste et signe en maintenant sa déclaration.
22 février 1854
Vers midi, à Quimperlé, se présente devant le magistrat instructeur, Pierre GOACOLOU, 25 ans, charbonnier et cabaretier au bourg de Bannalec. Il dépose en breton : « le lundi 13 de ce mois (février) sur les 10 heures du matin, Henry COLAS sabotier est venu boire dans mon cabaret . Il était un peu ivre et raconta devant moi et plusieurs autres qui se trouvaient dans la maison, que le dimanche 15 janvier 1854, étant à vendre des sabots auprès de l'église, il avait entendu une conversation qui avait lieu entre Yves LE LOUARN, Guillaume GUERNALEC et Louis GUERNALEC son frère. Suivant COLAS, Yves LE LOUARN dit : si le blé continue à augmenter comme il le fait, nous devrions nous réunir 15 ou 16 individus et aller ensemble prendre du grain quelque part. Que Guillaume GUERNALEC répondit que 3 ou 4 suffisaient pour cela, que Louis GUERNALEC répondit à son frère et à Le LOUARN : pour moi je n'irais pas cette année voler ayant de quoi nourrir ma famille mais l'année prochaine je ne sais pas ce que je ferais ».
Henry COLAS ajouta qu'il aurait gardé le silence sur cette conversation sans les menaces hier de la femme LE LOUARN qui m'a injurié et menacé en me disant que si je parlais contre les inculpés, on me ferait passer le goût du pain. Louis GUERNALEC qui était présent observa à Henry COLAS qu'il avait tort de tenir ces propos contre son frère qui n'est pas capable d'aller voler. Quelque temps après, ayant pris Louis GUERNALEC à part, je lui ai demandé s'il avait vu son frère Guillaume causer ensemble sur la place, s'il était avec LE LOUARN et son frère et s'il avait dit à ces deux individus que pour cette année il n'irait pas encore voler, Louis GUERNALEC lui répondit : oui j'ai causé avec mon frère et LE LOUARN vis à vis du bureau de mademoiselle NARDOU ; je leur ai dit en effet que pour cette année je n'irais pas encore voler. Je ne lui ai demandé aucune explication sur les propos qu'Henry COLAS prêtaient à LE LOUARN et Guillaume GUERNALEC et ne vois autre chose. »
Sur questions du Juge, Pierre GOACOLOU dit qu'Henry COLAS est un ivrogne très bavard quand il a bu ; que les frères GUERNALEC passent pour des braves gens dans la commune ; quant à Yves LE LOUARN il n'a jamais entendu dire jusqu'à présent qu'il fut adonné au vol. Pierre GOACOLOU précise également qu'effectivement le 15 janvier dans l'après midi, le cheval de son frère Jean Louis est tombé alors qu'il était entrain de pâturer dans un champ derrière la maison d'Auguste BAFFET. Guillaume GUERNALEC et Yves LE LOUARN ont aidé à relever ce cheval avec des sangles qu'ils ont ensuite rapportées le même jour.
Après Pierre GOACOLOU, vers 13 heures, c'est l'audition en breton de Bertrand GUICHET, 35 ans, garçon meunier au moulin du Stang qui dépose : « que le lundi 13 de ce mois entre 9 et 10 heures, je suis entré au cabaret des époux GOACOULOU au bourg de Bannalec il y avait plusieurs buveurs dont Henry COLAS, sabotier qui était épris de boisson. Il se mit alors raconter que le dimanche 15 janvier, il vendait des sabots vis à vis du cimetière et qu'il entendit une conversation entre Yves LE LOUARN et les frères Guillaume et Louis GUERNALEC. LE LOUARN leur disait que si les grains continuait à renchérir, ils seraient obligés de se réunir à 15 ou 16 pour aller quelque part s'en procurer. Guillaume GUERNALEC aurait répondu qu'il suffisait d'être 3 ou 4. Louis GUERNALEC aurait répondit qu'il n'irait pas voler et dit à Henry COLAS qu'il avait tort de tenir de telles accusations. Henry COLAS précisa également que la veille il avait été injurié et menacé dans le rue par la femme d'Yves LE LOUARN qui lui aurait dit qu'on lui ferait passer le goût du pain s'il parlait mal des inculpés ».
1er mars 1854
Vers 14 heures, se présente dans le bureau du Juge, Jean François LE BRAS, 63 ans Gardien chef de la maison d'arrêt de Quimperlé qui dépose en français : «le surlendemain du jour où M. le Docteur BEAUGENDRE a visité les inculpés BAFFET et LE LOUARN, en ma présence la femme d'Yves LE LOUARN est venue voir son mari et lui a demandé : est ce vrai que l'on a trouvé de la suie sur ta figure et celle de BAFFET ? On dit cela répondit LE LOUARN mais je n'en sais rien. Mais comment f.... imbécile que tu es, tu ne sais donc pas parler, il fallait dire que tu avais ramoné ta cheminée quelques jours avant ton arrestation. LE LOUARN ne répondit pas. Ayant demandé à la femme de LE LOUARN à quelle époque son mari avait ramoné sa cheminée, elle me dit que c'était du temps de la neige, il y avait trois semaines ou 1 mois. Est ce que votre mari ne sait (sic) pas fait raser depuis ? Pardonnez moi répondit elle, même plusieurs fois. J'observe que lorsque Yves LE LOUARN est entré dans la maison d'arrêt de Quimperlé, il avait une barbe qui devait remonter à plus de 8 jours ».
4 mars 1854
Toutes les investigations menées par le Juge ABYVEN conduisent au réquisitoire de CLARET, Procureur Impérial de Quimperlé : Nous, Procureur Impérial près le Tribunal de première instance séant à Quimperlé.
Vu les pièces d'une procédure criminelle instruite jusqu'à ce jour en ce tribunal contre :
1°) Auguste Pierre Baptiste Prosper BAFFET , âgé de 51 ans, cultivateur demeurant à Bannalec
2°) Yves LOUARN, âgé de 36 ans, ouvrier carrier, demeurant à Bannalec
3°) Jean MARREC, âgé de 42 ans, menuisier et tonnelier, demeurant à Ty Nevez en Bannalec
4°) Jean Marie JAMBOU, âgé de 27 ans, aide cultivateur demeurant à Kernabat en Bannalec
5°) Isidore GUIFFANT, âgé de 30 ans, aide cultivateur, demeurant à Bannalec
6°) Louis PENQUERCH, âgé de 34 ans, journalier, demeurant à Locmarzin en Bannalec
7°) Guillaume GUERNALEC, âgé de 33 ans, couvreur en ardoises, demeurant à Bannalec
tous inculpés de vol, d'où résultent les faits suivants
Jean GUIGOURES habite avec sa femme et une jeune servante au lieu du Castel Coudiec en la commune de Bannalec, une misérable maison peu éloignée de deux maisons de ferme. La porte de sa maison est vermoulue et le moindre choc pourrait la briser ou la renverser. La fenêtre est à peu près dans le même état et le mobilier est en harmonie avec la maison. GUIGOURES a pourtant de l'aisance et pas d'enfant mais il est avare. Il conservait chez lui un petit trésor. Depuis peu il avait reçu de l'argent et quelque soin qu'il eut pris de le cacher, on l'ignorait pas dans le public et notamment au bourg de Bannalec. On savait aussi qu'il n'avait pas placé tout cet argent (pièces n° 6 et 26).
Dans la nuit du 17 au 18 du mois de janvier dernier vers minuit ou une heure, la famille GUIGOURES dormait profondément lorsqu'elle fut réveillée par le bruit de la porte qu'on avait renversée à l'intérieur à l'aide d'un levier. Au même instant deux hommes entraient dans la maison. Ils avaient l'un et l'autre la figure noircie. Le premier portait à la main une chandelle de résine allumée. Sa tête était enveloppée d'un linge blanc, une chemise fine à grand collet comme en portent les ouvriers de la ville recouvrait ses vêtements, son cou était entouré d'une cravate ou d'un mouchoir blanc, il portait un pantalon de couleur foncé et était chaussé de souliers. Il avait de petits favoris gris. Il était fortement constitué, un peu gros, de moyenne taille, il pouvait avoir 50 ans. Le second plus jeune, plus grand et moins gros que le premier avait par dessus ses vêtements, une chemise de grosse toile aussi à grand collet, sa tête était enveloppée d'un mouchoir blanc et bleu, il avait une cravate blanche, un pantalon de couleur foncé et des sabots à la mode de la ville. Il était armé d'un fusil et d'un pistolet. Ils ordonnèrent en jurant aux époux GUIGOURES de se lever et de leur montrer où était leur argent. GUIGOURES leur offrit du pain et des crêpes et les engagea à prendre tout ce qu'il en avait. Non répondirent ils, c'est de l'argent qu'il nous faut, nous avons des enfants à nourrir et tu n'en as pas. Aussitôt le plus âgé monta sur le banc placé près du lit et lui porta plusieurs coups de pied dans le ventre ; ensuite il frappa violemment du poing GUIGOURES à la figure, lui serra fortement la gorge, le traîna hors de son lit et lui porta plusieurs coups, notamment des coups de pied sur les reins. Le plus jeune menaçait les époux GUIGOURES de ses armes. Si vous poussez un cri, disait il, ou si vous ne nous montrez pas où est votre argent, je vous tue. Et il leur appuyait le bout de son fusil et de son pistolet sur la poitrine. Voyant que GUIGOURES s'obstinait à ne point montrer son trésor, le plus âgé fouilla dans les meubles jetant à terre tous les objets qui y étaient renfermés. Mais ses recherches furent vaines. De rage il brisa toute la vaisselle des époux GUIGOURES. Il finit cependant par découvrir une petite armoire pratiquée dans l'intérieur de la table et fermée à clef. Il fit sauter la serrure à l'aide d'un morceau de fer, prit dans cette petite armoire plusieurs sacs d'argent et les passa à son complice qui se tenait toujours debout au milieu de la maison près de la table. Il s'empara également de l'argent qu'il trouva épars dans l'armoire et le mit dans une coiffe appartenant à la servante et que cette jeune fille avait déposé sur un meuble au pied de son lit, puis ils se retirèrent. Ils avaient volé une somme d'environ 2000 francs, ils n'avaient cependant pas découvert tout l'argent de GUIGOURES. (pièces n° 3, 4, 6, 7, 13, 14, 15, 16 et 18).
Pendant que les malfaiteurs étaient occupés à retirer les les sacs d'argent de la table, GUIGOURES était parvenu à se glisser près de la porte. Il voulut sortir pour appeler du secours mais an dehors était un troisième malfaiteur qui le renversa dans l'intérieur de la maison d'un coup du bout d'un bâton. L'homme armé saisit alors GUIGOURES, l’entraîna près du foyer et le força à y rester jusqu'à ce qu 'ils furent sortis. Le voleur qui était resté à la porte à faire le guet était vêtu à la mode de la campagne. (pièces n° 4, 6, 7 et 13)
Soit que les malfaiteurs ignoraient que la jeune servante de GUIGOURES couchait dans le lit placé près de la table, soit qu'il la crussent endormie, ils ne firent pas attention à alle. Cependant elle ne dormait pas et sans faire un mouvement elle voyait et entendait tout ce qui se passait. (pièces n° 6 , 7, 8, 9 et 13).
Dès que les malfaiteurs furent partis, GUIGOURES alla prier son neveu qui habite une des maisons voisines de se mettre à leur poursuite. Quatre hommes en effet se dirigèrent du côté que leur désignait GUIGOURES, deux d'entre eux purent même entendre dire : « on nous poursuit, sauvons nous ». ces quatre hommes qui n'avaient fait que quelques pas en dehors du village n'osèrent cependant aller plus loin. Ils craignaient sans doute que les voleurs ne fissent contre eux usage de leurs armes. (pièces n° 4, 6, 7, 11, 12, 13 et 14).
Lorsque le jour fut venu on alla annoncer ce qui s'était passé à M. le Maire de la commune de Bannalec. Ce magistrat se rendit au Castel Coudiec. Il découvrit les empreintes des pieds des auteurs du vol. il y avait des traces de pieds nus, de sabots à la mode de la ville et de sabots de campagnards. Ces traces finirent par se confondre avec d'autres et se perdre. Il était facile de voir cependant que les malfaiteurs avaient du aller à Bannalec. (pièces n° 3, 4, 6, 7, 11, 13, 14 et 15).
Bien qu'aucun indice n'accusât les inculpés BAFFET et LOUARN les soupçons se portèrent cependant sur eux. On fit des perquisitions à leur domicile. Elles furent sans résultat chez LOUARN mais chez BAFFET on trouva parmi le linge sale une chemise fine, un mouchoir blanc et un lange humide quoique les linges avec lesquels ils étaient fussent secs. Le lange et la chemise étaient tâchées de sang et la chemise souillée de boue. (pièces n° 4, 5, 14 et 15).
Le 21 janvier M. le Docteur BEAUGENDRE découvrit sur le front et dans la barbe de LOUARN de la suie ou de la poussière de charbon qui avait du y être appliquée à l'aide d'un corps gras ou avec de l'eau. BAFFET n'en avait pas sur la figure, il s'était rasé le 18 pour aller à une noce mais derrière son oreille gauche on découvrit deux taches noires d'une matière semblable à celle qui avait été constatée sur la figure de LOUARN. (pièces n° 17 et 18)
BAFFET et LOUARN affirment n'être pas les auteurs du vol qui leur est imputé. Cependant des charges graves s'élèvent contre eux. En effet, avant qu'aucun indice n'ait signalé ces deux hommes, c'est eux que la clameur publique accusait. Ils n'étaient peut être pas liés d'une étroite amitié mais ils se connaissaient parfaitement bien, assez surtout pour pouvoir s'apprécier. Ils étaient tous les deux dans la gêne, BAFFET s'attendait chaque jour à voir pratiquer une saisie sur ses meubles, LOUARN n'avait pour toute ressource que son salaire d'ouvrier carrier. BAFFET n'avait pas une bonne réputation, LOUARN en avait une très mauvaise. Les malfaiteurs se sont retirés vers Bannalec après avoir commis le crime, c'est aussi à Bannalec que demeurent ces deux hommes. (pièces n° 47 et 50)
Lorsque BAFFET a été confronté avec la famille GUIGOURES le 19 janvier au Castel Coudiec, on n'a pas pu affirmer que c'était lui le voleur qui portait une chandelle de résine allumée mais il lui ressemblait. Il avait son âge, sa taille, les mêmes proportions, il portait comme lui de petits favoris gris. Il était un peu gêné de la parole et BAFFET à la voix couverte, le voleur était vêtu d'une chemise fine à grand collet, d'un mouchoir et d'un linge blanc et on trouve le lendemain chez BAFFET des objets semblables, encore humides et souillés de boue parmi du linge sale. C'est un voleur qui a fait couler le sang de GUIGOURES et la chemise et le lange sont tachés de sang. Le voleur avait la figure noircie et bien que BAFFET se soit rasé quelques heures après la perpétration du crime on trouve cependant derrière son oreille gauche deux taches noires de la matière qui a couvert la figure de celui qui a du être son complice. BAFFET veut expliquer pourquoi la chemise est humide mais si son explication était vraie, sa chemise n'eut pas été uniquement humide. Il n'explique pas pourquoi le lange et le mouchoir sont humides parmi du linge sec. Il n'explique pas d'avantage pourquoi la chemise est souillée de boue. Ses explications relatives aux taches de sang sont contradictoires. Enfin l'expert constate qu'il en a imposé en voulant expliquer pourquoi il a des taches noires derrière l'oreille comme il l'a fait sans doute dans toutes ses explications. (pièces n° 5, 6, 7, 14, 17, 18, 47 et 48).
Quant à LOUARN, lorsqu'il fut confronté avec les époux GUIGOURES et leur servante, on ne put affirmer que c'était lui le voleur armé. Mais il avait exactement la même voix et il lui ressemblait tellement en tout point, que si on a eu la pensée, avant la confrontation, qu'il pouvait être le voleur, après la confrontation, on est presque sur que c'est lui. Et la famille GUIGOURES ne s'est pas trompée car on a découvert que LOUARN a eu la figure noircie comme ce voleur. Il veut expliquer aussi lui pourquoi on a trouvé de la suie sur sa figure mais son explication est une impossibilité. S'il a ramoné sa cheminée la suie se sera attachée aussi bien à son cou et à ses cheveux qu'à son front et à sa barbe et cependant sur son cou et dans ses cheveux on a trouvé que de la malpropreté et pas de suie ni de charbon. Enfin il est constaté que s'il a en effet ramoné sa cheminée c'était longtemps avant le 17 janvier, qu'il a été rasé plusieurs fois depuis, que conséquemment il ne pouvait plus rester de suie sur sa figure. D'ailleurs dès le 17 janvier vers 5 ou 6 heures du soir, LOUARN avait déjà résolu de commettre un vol la nuit suivante, il savait où il devait le commettre mais il n'avait pas assez de complices. Il fallait être au moins trois pour commettre un vol audacieux. Julien LE COTONNEC travaille journellement avec lui, à la même carrière, il n'a eu que de bons rapports avec lui, c'est son ami, il est aussi pauvre que lui, il sera facile de l'entraîner, aussi c'est à lui qu'il s'adresse.Viens avec moi cette nuit lui dit-il je te mènerai dans un endroit où il y aura beaucoup de grain et beaucoup d'argent. LOUARN s'était trompé, LE COTONNEC est honnête, il aime mieux endurer la tourmente de la faim que de voler, aussi rejette-t-il la proposition. LOUARN n'insiste pas mais au moment où ils vont se séparer il tente un dernier effort, il renouvelle sa proposition et cette fois il emploie tous les moyens qu'il croit propre à déterminer LE COTONNEC car il lui faut un complice. LE COTONNEC persiste à refuser son concours pour commettre un vol. quelques heures après, un vol audacieux est commis au Castel Coudiec, dans un endroit où il y avait beaucoup d'argent et l'un des voleurs ressemble en tout point à LOUARN et l'autre à BAFFET. Et cependant, LOUARN qui devait voler cette nuit là n'a pas volé ailleurs. (pièces n° 21, 23, 24 et 52).
L'inculpé GUERNALEC a été arrêté par suite de la déclaration d'Henri COLAS. Celui ci prétend avoir entendu une conversation qui aurait eu lieu à Bannalec le 15 janvier entre LOUARN et GUERNALEC, que ces deux hommes auraient formé le projet de voler, qu'ils lui auraient fait à lui même la proposition d'être leur complice et que sur son refus ils se seraient rendus chez BAFFET. On ne peut avoir une confiance entière en la déclaration de COLAS. Il est loin d'avoir une bonne réputation, il a été condamné pour vol et c'était BAFFET qui l'avait dénoncé. N'aurait il pas par esprit de vengeance un peu modifié les faits qu'il raconte afin de les rendre criminels ? Dans tous les cas, que la déclaration de COLAS soit sincère ou qu'elle ne soit pas entièrement conforme à la vérité, on ne peut pas considérer GUERNALEC comme un des auteurs du vol qui lui est imputé, puisque deux témoins, les époux ROPERS ses voisins, affirment qu'il a passé dans son domicile toute la nuit du 17 au 18 janvier. D'ailleurs, GUIGOURES déclare qu'il ne doit pas être le voleur resté à la porte. (pièces n° 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 42, 49, 53 et 54).
Les inculpés MARREC, JAMBOU, GUIFFANT et PENQUERCH n'avaient été arrêtés que parce qu'ils ressemblaient plus ou moins au voleur resté à faire le guet. Aucune charge ne s'élevant contre eux, ils ont été mis en liberté immédiatement après leurs interrogatoires et après avoir été confrontés avec la famille GUIGOURES. (pièces n° 7, 8, 9, 43, 44, 45, 46).
Vu ces faits et les articles 61, 127, 128, 133 et 134 du code d'instruction criminelle et 379, 381, 390, 393, 395 et 396 du code pénal,
Requérons qu'il plaise au Tribunal, Monsieur le Juge d'instruction entendu en son rapport à la chambre du conseil, Déclarer
1°) qu'il n'y a lieu à suivre contre Jean MARREC, Jean Marie JAMBOU, Isidore GUIFFANT, Louis PENQUERCH et Guillaume GUERNALEC inculpés et ordonner que GUERNALEC détenu, soit mis sur le champs en liberté s'il n'est détenu pour autre cause.
2°) qu'il y a des indices suffisants qu'Auguste Pierre Baptiste Prosper BAFFET et Yves LOUARN se sont rendus coupables, ensemble et de concert, avec un troisième individu resté inconnu jusqu'à ce jour d'un vol d'une somme d'environ 2000 francs dans la nuit du 17 au 18 du mois de janvier dernier au préjudice de Jean GUIGOURES, dans la maison habitée par lui et sa famille au village du Castel Coudiec en la commune de Bannalec, à l'aide d'effraction extérieure et intérieure et de violences et en menaçant de faire usage des armes apparentes dont l'un deux était porteur, lequel fait qualifié crime aux termes de l'article 381 du code pénal est susceptible d'être puni de peine afflictive et infamante,
Décerner une ordonnance de prise de corps contre les dits BAFFET et LOUARN
Ordonner que les pièces de la procédure soient transmises sans délai avec un état des pièces servant à conviction à M. le Procureur Général près la Cour impériale de Rennes pour être par ce magistrat soumises à la chambre des mises en accusation de la dite Cour.
Au Parquet à Quimperlé le 4 mars 1854
6 mars 1854
Réuni en la chambre du Conseil, le tribunal de première instance de Quimper décerne contre Auguste BAFFET et Yves LE LOUARN une ordonnance de prise de corps afin qu'ils soient conduits dans la maison de Justice désignée par la Cour Impériale de Rennes en l'espèce celle de Quimper. Cette même ordonnance déclare qu'il n'y a pas lieu de poursuivre les nommés Jean Marie JAMBOU, Louis PENQUERCH, Isidore GUIFFANT, Jean MARREC et Guillaume GUERNALEC qui doit être immédiatement remis en liberté s'il n'est pas détenu pour autre cause. Signé Eugène François FORNIER, Juge, Benoît BARBIER Président et Bernard Pierre ABYVEN
7 mars 1854
Le Procureur Impérial de Quimperlé communique la liste des témoins susceptibles d'être appelés devant la Cour d'Assises :
1°) Jean GUIGOURES
2°) Marie Anne GESTALEN épouse GUIGOURES
3°) Marie Louise LE NAOUR
4°) Mathieu BACON, cultivateur
5°) Charles GARESSUS Brigadier de gendarmerie
6°) Jean Louis MIGNON gendarme
7°) Julien LE COTONNEC, journalier
8°) Henri COLAS, sabotier
9°) Mathieu ROPERS
10°) François Marie Théophile BEAUGENDRE Docteur en médecine
11°) Jean François LE BRAS Gardien chef de la MA de Quimperlé
8 mars 1854
Le Procureur Impérial donne connaissance à Auguste BAFFET et Yves LE LOUARN de l'ordonnance de prise de corps ainsi que des différentes pièces de la procédure et leur annonce que toutes les pièces sont adressées au Procureur Général de Rennes. Parmi les documents transmis au Parquet Général se trouvent les pièces à conviction ci-dessous :
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une forte bûche de bois de chêne ayant une longueur de 1,44 mètre
- une mauvaise serrure
- une chemise de toile
11 mars 1854
Le Procureur Général signe l'arrêt de renvoi devant la Cour d'Assises du Finistère d'Auguste BAFFET et Yves LE LOUARN attendu qu'à la lecture des pièces de la procédure, il existe des charges et indices suffisants contre eux. Mais les premiers juges ayant omis de relever la circonstances aggravantes prévue au paragraphe 2 de l'article 382 du code, , le Parquet demande l'annulation de l'ordonnance de prise de corps pour en décerner une nouvelle. Le même jour, la Cour Impériale de Rennes annule la première ordonnance de prise de corps, en décerne une nouvelle et renvoie les deux accusés BAFFET et LE LOUARN devant la Cour d'Assises du Finistère.
28 mars 1854
BAFFET et LE LOUARN reçoivent la notification de l'acte d'accusation et de l'arrêt de renvoi devant la Cour d'Assises du Finistère, « trouvées en lieu de liberté entre les deux guichets de la maison d'arrêt de Quimperlé ».
29 mars 1854
Transféré par les gendarmes, Auguste BAFFET et Yves LE LOUARN sont écroués à la maison de Justice de Quimper alors dirigées par Joseph François GERMOND, Gardien Chef. Le même jour ils subissent l'interrogatoire d'usage. C'est à cet instant qu'ils font connaître qu'ils ont choisi Maître DUMARNAY pour assurer leur défense.
28 avril 1854
A la requête d'Auguste BAFFET, François ALLARD Maître de Poste demeurant rue du bourgneuf à Quimperlé est assigné à comparaître devant la Cour d'Assises pour apporter son témoignage. Néanmoins, il ne figure pas sur la liste des témoins.
30 avril 1854
la liste des 36 jurés ordinaires et des 4 jurés supplémentaires est notifiée à Auguste BAFFET et Yves LE LOUARN à la maison de Justice de Quimper.
1er mai 1854
A partir de 9 heures, sous la Présidence de Julien TASLE, Conseiller à la Cour Impériale de Rennes, Président de la Cour d'Assises du Finistère se déroule la formation du Jury en charge de l'examen et le jugement du procès criminel contre Auguste BAFFET et Yves LE LOUARN et en présence de leur avocat Auguste DUMARNAY. LE LOUARN a alors chargé Auguste BAFFET d'exercer pour lui son droit de récusation d'un juré.
Sans aucune récusation de part et d'autre, le Jury est ainsi composé des 12 membres suivants :
- de KERGRIST Charles Jean 1794, Maire, Carantec, Chef du Jury
- GUIGNARD Toussaint 1796 propriétaire Saint Evarzec
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LAZOU Pierre Marie Nicolas 1809 négociant Morlaix
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de GUEBRIAND Ernest 1815 propriétaire Saint Pol
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de CARNÉ L, Plomeisouis 1804, propriétaire
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LE GOFF Jean Louis 1809 praticien Pont Croix
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de GUERNISAC Ange 1799 propriétaire Plouigneau
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de PLOESQUELLEC Paul 1805 minotier Le Claitre
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BRIOT de la MAILLERIE Gustave 1811 propriétaire Plomelin
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RADIGUET Isidore 1792 négociant Landerneau
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LAMARRE François Paul Marie 1798, Notaire Plonéour Trez
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FRIMOT Jacques Joseph 1790 Ingénieur Landerneau
A partir de 9 heures et demie les débats commencent et sont dirigés par M. TASLE Julien Président de la Cour d 'Assises, DELPLANCQUE commis greffier et BOULLE substitut du Procureur impérial. Le Président TASLE s'étant assuré que plusieurs des témoins appelés à la barre pour témoigner ne parlaient que la langue bretonne, il nomme d'office comme interprète Jean Marie LE GRIGNOUX 34 ans, instituteur, habitant Quimper.
En délibération, à toutes les questions posées, le Jury répond oui à la majorité et se prononce également à la majorité pour accorder à Auguste BAFFET le bénéfice des circonstances atténuantes. A l'issue des débats, la Cour d'Assises condamne LE LOUARN Yves à la peine des travaux forcés à perpétuité et le déclare mort civilement. BAFFET Auguste Pierre Baptiste Prosper à la peine de 20 ans de travaux forcés.
Les condamne de plus solidairement aux frais de la procédure et ce par corps à l'égard d'Auguste BAFFET. Fixe à l'égard de ce dernier à 1 année la durée de la contrainte par corps et ordonne qu'après avoir subi sa peine, Auguste BAFFET demeurera pendant toute la vie sous la surveillance de la haute police de l'état.
Il faut se rappeler qu'à cette époque, tous les arrêts de jugements portant les mentions peine de mort, travaux forcés, déportation, détention, réclusion, dégradation civique, bannissement sont imprimés et affichés dans la ville centrale du département, dans la ville où a été rendu l'arrêt, dans la commune du lieu où le délit a été commis, dans celle du domicile du condamné.
1er juin 1854
Le pourvoi en cassation formé par les deux accusés est rejeté, attendu que la procédure est régulière et que la peine a été légalement appliquée aux faits déclarés constants par le Jury.
13 juillet 1854
Sous le n° 5728, BAFFET Auguste est incarcéré au bagne de Brest. Si le registre matricule du bagne comporte des erreurs, comme par exemple les parents qui sont inscrits sous l'identité de Jean Baptiste et Véronique VISSAC, celle de son épouse indiquée comme étant Élisabeth de QUERORGAN, il apporte néanmoins des précisions sur les signes particuliers d'Auguste BAFFET. En effet, celui ci porte 3 tatouages :
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sur la poitrine : un piédestal et 2 cœurs enflammés et 2 anges
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sur le bras droit : un militaire surmonté d'un pavillon en dessous d'un parc à boulets et 1824
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sur le bras gauche : un militaire, 2 cœurs et les initiales A.
Sous le n° 5733, LE LOUARN Yves suit son camarade. Là aussi la fiche matricule comporte des erreurs de taille (1,65m). Il ne porte aucun tatouage mais une cicatrice à la naissance de l'index gauche et plusieurs cicatrices de variole en bas du dos et des jambes velues.
Voir les deux fiches matricules en fin de page.
Décembre 1854
Le 21, Yves LE LOUARN est embarqué sur « le Gardien » pour le bagne de Guyane et part le 28 décembre. Le 23 Auguste BAFFET meurt du choléra aux hôpitaux maritimes de Brest.
1855
Arrivé en Guyane le 15 février 1855, Yves LE LOUARN meurt à l'Ile Royale du Salut en Guyane le 20 juillet 1855. Cette affaire aura d'autres suites qui seront exposées dans un prochain épisode.
Sources :
Archives départementales du Finistère
ANOM d'Aix en Provence
BAFFET Auguste
LE LOUARN Yves